«Arrête de pleurer, on va faire un beau film» : c'est ce qu'a lancé le réalisateur François Ozon à Géraldine Pailhas quand, émue, elle a accepté de tourner dans Tout s'est bien passé (1), adaptation du roman d'Emmanuèle Bernheim. La romancière, incarnée par Sophie Marceau, y racontait comment elle avait aidé son père (ici joué par André Dussollier), victime d'un AVC, à mettre fin à ses jours, épaulée par sa sœur, Pascale (Géraldine Pailhas). Un sujet difficile, auquel le film donne une dimension troublante en virant souvent à la comédie noire, s'accrochant à des moments d'humour ou d'absurde : des moments de vie pure dans un film sur la mort.
La vie, le mouvement, les éléments qui se déchaînent sont précisément les conditions dans lesquelles nous rencontrons Géraldine Pailhas au Festival de Cannes, à la fois décoiffée, hilare et concentrée, sur le toit d'un hôtel battu par les vents d'une bourrasque imminente. Celle que l'on suit depuis Le Garçu de Maurice Pialat (1995) ou Les Randonneurs de Philippe Harel (1997) a également brillé cette année dans la bien-nommée série OVNI(S), sur Canal+. On est plus que jamais ravis de la retrouver.
Madame Figaro.- Quelle a été votre réaction face au thème de Tout s'est bien passé?Géraldine Pailhas .- Je connaissais Emmanuèle Bernheim, que j’avais rencontrée au moment de la mort de Maurice Pialat. C’était un moment très particulier : Sylvie Pialat avait rassemblé autour du corps de Maurice Pialat tous ses amis, dont Emmanuèle. On s’est réunis pendant trois jours, donc déjà, je l'ai rencontrée autour de quelque chose liée à la mort. Et puis il se trouve qu’on se croisait assez souvent dans le bus. Nous avions perdu nos pères à peu près au même moment, on avait pas mal parlé de cela. Quand son livre est sorti, je l’ai lu vraiment sans respirer : je m’en souviens comme de ces lectures un peu uniques, et je l'ai adoré. Nous avions parlé de François Ozon à l’époque : évidemment, je connaissais leur collaboration professionnelle (Emmanuèle Bernheim a travaillé sur plusieurs scénarios de Ozon, NDLR) et leur amitié. Un jour, François m’a appelé pour me dire qu’il avait décidé de faire l’adaptation de ce livre, et qu'il voulait que je joue le rôle de sa sœur, Pascale. J’étais en tournage, mais j’ai lu le scénario tout de suite. J'étais vraiment bouleversée à l’idée qu’il m’invite à rendre hommage à Emmanuèle, et qu’il ait envie d’être aussi fidèle au livre. Je savais déjà qu’on allait faire quelque chose de très beau.
Le film a souvent un humour grinçant… Comment avez-vous approché ce basculement du drame à la comédie, en tant qu’actrice?Je ne sais pas à quel point je m’en suis aperçue avant de le vivre sur le plateau, avec André Dussollier. Ce n’était pas vraiment évident en lisant le scénario, même si je me souviens avoir ri en voyant les rapports des deux filles avec leur père, tant cet homme pouvait être imbuvable avec son entourage. Mais je ne savais pas comment on allait le traiter. André Dussollier a vraiment jubilé en interprétant ce personnage désagréable, impatient, vraiment parfois pénible. J’avoue qu’il m’a fait beaucoup rire.
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— University School Tue Apr 20 22:29:38 +0000 2021
Y a t’il eu des moments, sur le tournage, où le rire a fait irruption pendant une scène difficile?Pas vraiment, parce qu’on était très disciplinés. Nous pouvions faire beaucoup de choses, nous n’étions justement pas contraints par une humeur unique : on pouvait faire la version absolument dramatique, et décaler, décaler, décaler... pour arriver à une chose complètement folle, voire burlesque. Cela fait partie des choses que j’adore avec François Ozon. Je me laisse complètement aller à faire toutes les choses qui me passent par la tête, et je crois qu’il aime bien ça chez moi aussi. À la fin, je sais que c’est lui qui va garder l’équilibre de l’humeur dont il aura envie pour son film. François sait saisir l’instant : on parle beaucoup de la préparation de acteurs, mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est me préparer, puis oublier tout ce que j’avais prévu pour saisir le moment T.
Comment avez-vous créé la complicité palpable qui vous unit à Sophie Marceau dans le film?Je ne saurais pas l’expliquer, ça s’est fait comme ça. On s’est rencontrées, elle a pris mon visage entre ses mains et m’a dit : «Laisse-moi, que je te regarde.» J’ai su à ce moment-là que ça allait rouler. Nous avons beaucoup de points communs. Nous sommes assez garçonnes toutes les deux, nous ne sommes pas du tout dans la rivalité féminine. Je crois qu’on s’appréciait pas mal avant de se rencontrer. Et qu’on avait une vision commune du projet, une envie d’être ensemble.
Ce sont des personnages qui vont très loin par amour pour leur famille. Comprenez-vous qu’on puisse aller aussi loin par amour filial?Je crois que face à la mort, nous sommes capables de choses que notre esprit ne peut même pas formuler. Je me suis surprise, dans ma vie, à faire des choses dont jamais je n’aurais imaginé être capable, même d’y penser, sans sangloter. Je pense que face à un être qu’on aime qui est dans une situation périlleuse, voire critique… Moi, mes forces peuvent être décuplées, je peux devenir Wonder Woman, vraiment.
Vous avez monté les marches mercredi… Ressent-on toujours le même frisson quand ce n’est plus la première fois?J’ai l’impression que c’est différent pour chaque film. Mercredi soir, c’était différent de la dernière fois, alors que j’avais déjà monté les marches avec François Ozon. C’était une émotion très forte aussi, mais j’ai l’impression qu’on avait davantage envie de se regarder, de prendre le temps, de profiter. On était plus calmes, peut-être plus adultes, plus en osmose les uns avec les autres. À la moitié des marches, François m’a dit «Ça y est, c’est fait». Je lui ai répondu : «Mais non, il en reste encore!». Et je me suis dit «Maintenant il faut en profiter, vraiment.» Ça a l’air étrange pour les gens qui ne le font pas, mais il y a tellement de symboles, de travail, d’attente derrière tout cela… La réception des gens, les émotions. Ce sont vraiment des moments cathartiques.
Quelle est la première chose que vous faites quand vous arrivez à Cannes?Je mange un club sandwich ! Je suis une poule de luxe : j’adore les grands hôtels, mais c’est rare que j’y sois. Alors à Cannes, j’adore manger un club sandwich avec des frites.
Et quelle est la première chose que vous faites en rentrant chez vous?Je dors. Ou éventuellement je soigne mon angine, il m’arrive souvent d’en attraper ici. Et, bizarrement, je vais au cinéma, comme toujours.
Quelle est la chose que vous avez fait et ne referez plus jamais à Cannes?M’excuser d’être là. Plus jamais.
(1) Tout s'est bien passé, de François Ozon, en salles.