• 03/11/2022
  • Par binternet
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Mode : anatomie des vêtements de campagne<

"Y a plus de saisons !",qu'ils disent, des vignes de la Côte chalonnaise aux champs de céréales de la région. Ici, les étés s'étirent, les vendanges, délicieuses, prennent de l'avance. Sous un soleil de plomb, les champs d'herbe grasse se dorent trop tôt pour que le bétail y goûte. On touche aux réserves de foin avant l'automne. Qu'en dira l'hiver ? Les cycles changent. On s'adaptera. A Rosey, village viticole de Saône-et-Loire, on vit au rythme des saisons. Par 35 °C, Elise, en vacances chez sa grand-mère, chevrière, ramasse les bottes de paille en short, T-shirt et sneakers bien tannées. Des lunettes masques à la Trinity dansMatrix, un bob à cordon de serrage complètent le tableau. C'est cool, évidemment, mais c'est avant tout pratique. Ce matin, l'étudiante en agronomie a choisi parmi ses vêtements ceux dans lesquels elle pourra monter et descendre du char, se saisir des bottes qu'on lui tend.Mode : anatomie des vêtements de campagne Mode : anatomie des vêtements de campagne

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Ses accessoires la protégeront du soleil. "Ici, on choisit ses vêtements selon les saisons, commente l'apiculteur voisin, Michel.En été, il faut quelque chose de très léger, dans lequel on se sente à l'aise. En automne, on s'habille de manière plus confortable et en hiver, de manière encore beaucoup plus confortable." La fonctionnalité, ce trait que Roland Barthes attribue, dansSystème de la Mode, aux "faits d'habillement" plus qu'aux "faits de costume",est vivace à la campagne. Ici, le vêtement remplit pleinement sa dimension d'objet utile. Son emploi est régi par la logique de l'activité choisie et du temps qu'il fait. On ne porte pas de chaussettes dans ses claquettes en été, ni de cycliste en hiver."Le vêtement des ruraux présente concrètement des finalités pratiques, analyse Ginette Francequin dansLe Vêtement de travail, une deuxième peau, paru en 2008 (Erès).A cette image de protection et de recherche du vêtement confortable, le langage ajoute ce que le rural investit dans son habillement : de la pudeur et ce soupçon de regret de ne pas être conforme à la mode."

Clichés de la France profonde

Alors, ploucs, les gens de la campagne ? Le cliché du paysan en bleu et de la paysanne en blouse dans leur cuisine éclairée au néon a prospéré ces dernières décennies. Qui pense au trio de chasseurs des Inconnus, qui aux Vamps, qui au duo fictif d'agriculteurs formé par Maria Bodin et son fils Christian... Ces parodies d'une ruralité "conservatoire", de zones où les Crocs seraient le seul symptôme de la mondialisation, nourrissent l'archétype de la France profonde. "Heureusement qu'il y a une France profonde pour perpétuer les traditions, les racines, etc., mais je constate que celle-ci n'a rien empêché du tout" , commentait Cabu le 25 juillet 1980 sur le plateau d'Apostrophe, au sujet de sa BD,Beauf. Son personnage, inspiré d'un patron de bistrot de Châlons-en Champagne (ex sur-Marne), incarne la fuite du paysannat vers un monde "bétonné". Devient plouc celui qui a échoué dans la préservation du patrimoine rural. "Cette France profonde, elle a adhéré au modèle américain, elle va dans les supermarchés, ellerange ses tables dans les greniers et achète du Formica... Ces gens auraient pu être un rempart contre ça, mais non",ajoutait Cabu à l'époque.

Mode : anatomie des vêtements de campagne

"J'ai conscience des a priori, affirme Alice, étudiante en commerce à Chalon-sur-Saône. Le bon goût viendrait de Paris, l'épicentre de la mode... Mais la mode, pour moi, c'est partout. Je croise sur le marché de Chalon-sur-Saône des filles très bien habillées comme je pourrais les croiser à Paris. Il faut arrêter avec le cliché du'A la campagne, les gens sont mal habillés'." Ironie du sort, la mode ces dernières années emprunte beaucoup au vestiaire de la campagne. Outre les clins d'œil plus ou moins archaïsants à la paysanne des Trente Glorieuses, en tablier de toile cirée sur robe à imprimé pivoines et sabots en caoutchouc, l'émergence du "gorpcore" marque un véritable élan de la famille mode vers la nature en général. Le phénomène, théorisé par leNew York Timesen 2017, se fonde sur un usage en ville de vêtements d'outdoor. Il tire son nom du "gorp", mélange de fruits secs chers aux clients de voyagistes de randonnée. "Que la mode s'inspire de la campagne, c'est dans l'air du temps, observe Anne-Cécile, viticultrice.On est presque dans l'excès inverse de la sophistication. Ça peut être très hypocrite, aussi, de vouloir être plus simple, plus proche de choses 'pures'..." Bobs, shorts convertibles, polaires et autres chaussures à semelles antichocs sur chaussettes côtelées: allez faire un tour chez Urban Outfitters un dimanche après-midi : c'est le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle - partie Bourgogne - catapulté rue de Rivoli.

Simplicité volontaire

Elise, perchée sur son char, cocherait toutes les cases du gorpcore. Tout comme Alexis, jeune agriculteur croisé dans le village attenant de Granges. Pour eux, en ce jour de juillet 2019, le vêtement s'inscrit dans le cadre du travail de la terre. Qu'en restera-t-il la moisson passée ? Au-delà du seul secteur agricole, un nouveau rapport au vêtement émerge ici chez la jeune génération. Le phénomène s'inspire peu ou prou des modes de consommation ancestraux de la campagne.

Privilégier la qualité sur la quantité, allonger la durée de vie du vêtement... "Pour moi, le coût social et écologique du vêtement est juste hallucinant",déclare Céline. Cette jeune psychomotricienne qui exerce dans la région chalonnaise souligne une double forme d'empathie envers son environnement. Il s'agit non seulement de coller aux saisons, à son milieu physique, mais aussi d'adopter des modes de consommation altruistes. "Je n'achète jamais de vêtements neufs. Ça arrive, parfois, qu'on m'en offre. De manière générale, les vêtements que j'ai, je les garde très longtemps, je les recouds... C'est important pourmoi que la mode soit durable et s'inscrive dans une démarche plus globale de simplicité volontaire."

Les choix de vie s'en font écho. Ainsi, Céline s'active actuellement à la création d'un habitat groupé (ou coopérative d'habitants) dans la région de Couches. Anne-Cécile, elle, a quitté Lyon, une carrière dans la kinésithérapie, pour Givry et le domaine viticole familial, la maison Lumpp : "Mon rapport au vêtement a changé. A être dans la vigne, dans la cave, à faire beaucoup d'équitation aussi, j'ai eu moins d'occasions de sortir et je me suis rendu compte que je n'y attachais pas plus d'importance que ça. J'aime bien un beau jean, un joli T-shirt et c'est tout."

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