On se souvient du fier bâtiment dressé face au port, portant en lettres majuscules l’enseigne de l’un des couturiers libanais les plus célébrés sur les tapis rouges. Tel un phare immatériel, le quartier général de Zuhair Murad annonçait à qui venait du large son arrivée au havre de la fête, de l’élégance et de la sensualité.
Soufflés, éventrés, déchiquetés : de l’enseigne, de ses bureaux, ses ateliers, ses archives, il ne reste rien. Au petit café contigu, la jeune serveuse est morte sans voir venir. La confrérie des petites-mains en blouse blanche, qu’on croisait parfois sur le trottoir grillant une cigarette en regardant la mer, a réchappé par miracle à la dévastation. Le lendemain, on balayait déjà, on déménageait ce qui pouvait l’être, on tentait de reprendre ses esprits. Et le temps de se remettre debout, Zuhair Murad lançait déjà une capsule de tee-shirts brodés des mots « Rise from the ashes » en lettres gothiques. Encore et encore renaître de ces fichues cendres. Pour le couturier, s’arrêter n’était nullement un choix possible. L’hiver était déjà aux portes, et il n’était pas question de sauter une saison, ni de rompre la continuité. Sur ces cendres-là on danserait la danse du feu et Zuhair Murad choisit, comme si l’abstraction s’imposait face à l’effacement du réel, de rendre hommage pour son automne-hiver 20-21 à Kandinsky et aux Ballets russes. La collection étincelante dument livrée, ce travailleur acharné ne veut pas encore désobéir à l’impitoyable calendrier de la mode. Déjà envisager l’été… mais où trouver l’inspiration qui va encore et encore irriguer de joie et d’espérance un univers de plus en plus glauque dont il a été le premier à faire les frais ? Une seule figure l’obsède et le hante. Placé au milieu du drapeau comme un talisman : le cèdre, promesse de résistance quoi qu’il arrive. Observant ces Libanaises qui continuent, avec la même grâce, à soigner, panser, réconforter, soutenir, faire triompher la vie, il voit la majesté de l’arbre se superposer à la force de la femme. Il imagine un labyrinthe circulaire où se projette, immatérielle, une forêt de cèdres enneigés. Se cherchant dans ce dédale, la femme-arbre et l’arbre-femme échangent leurs essences.
Robe de mariée de la collection Zuhair Murad haute couture, printemps-été 2021. Photo Zuhair Murad
Deux natures semblables
The plumber came here today and cut a hole in the kitchen ceiling, and I haven’t even figured out how to buy mulch yet.
— Yup, it’s me. Thu Jun 25 01:25:54 +0000 2020
Cette collection printemps-été 21 parle donc d’une osmose entre deux natures semblables en quête l’une de l’autre. À travers ce labyrinthe sacré, la femme Zuhair Murad se lance dans une recherche initiatique de soi jusqu’à l’ultime rencontre, fusion magique avec l’arbre dont elle a acquis à travers son cheminement maints caractères sacrés. Cousue d’ombres irisées et de fraîcheur boisée, la collection se décline dans un vocabulaire d’étoffes légères et de textures sensuelles : tulle et mousseline de soie, gazar, lurex, crêpe Georgette. La palette évoque les reflets d’une forêt nimbée de brume, à l’aube d’un jour d’été : ciel poudré, rose nuage, beige sable ombré de gris, vert eau limpide ou plus soutenu sous les feuillages, argent d’écorce, de sève et de rosée. Se posent ensuite les broderies, en tatouage raffiné sur toile transparente – savoir-faire signature de Zuhair Murad –, ou en scintillements de paillettes et sequins, cascades d’argent, éclaboussures précieuses et motifs récurrents animant la ligne d’un corsage ou la fluidité d’une robe.
Zuhair Murad, haute couture, printemps-été 2021. Photo Zuhair Murad
Capter la lumière
Pour les broderies de cette collection couture, le créateur a dessiné des motifs d’écorces, de branches, de cônes et de nervures de souches, creusant des sillons, formant des reliefs tactiles et des éclosions tridimensionnelles, captant surtout la lumière qui entoure chaque silhouette d’un halo féerique. Les plumes ne sont pas en reste, métaphores d’oiseaux-lyres qui se posent, étoles ou manches, sur la femme cèdre et son beau mystère. Robes longues, robes de bal évasées, fourreaux fuselés et jusqu’à la robe de mariée en apothéose de blanc rosé illuminé d’argent, déclinent dans le glamour le plus pur un vocabulaire de drapés aériens, fentes audacieuses et transparences irréelles. Dans l’alternance du flou et du structuré, la taille ondule soulignée d’élégantes ceintures qui l’affinent. Tout, dans la collection couture Zuhair Murad été 2021, entoure la femme de magie sylvestre, glorifie sa puissance et exalte sa part divine entre sève éternelle et éternelle vénération.