• 12/01/2023
  • Par binternet
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Le dormcore ou le luxueux art de vivre en pyjama<

Chemise et pantalon coordonnés, pantoufles en moumoutes et plaid en cachemire. Difficile de quitter la chaleur de son lit tous les matins. Mais les créateurs proposent désormais de sortir en pyjama afin de perpétuer le réconfort offert par le vêtement de nuit en journée. Tendance silencieuse depuis quelques saisons, le pyjama s'impose aujourd'hui sur les podiums masculins et féminins, et donne même naissance à un art de vivre: le dormcore.Le dormcore ou le luxueux art de vivre en pyjama Le dormcore ou le luxueux art de vivre en pyjama

Les origines exotiques et transgressives du pyjama

A l'origine, le pyjama, nommé à partir du mot hindi «pajama» apporté par les colons anglais en Europe au XIXe, fleure bon l'exotisme, puis le sable chaud. Historiquement, ce sont les femmes qui le popularisent en le portant de jour sur la plage dans les années 1920, selon une vogue lancée par nulle autre que Mademoiselle Gabrielle Chanel. Rare pantalon portable par les femmes, il devient synonyme de transgression et d'insolence chic.

Il se mue peu à peu en vêtement d'intérieur et conquiert les hommes à partir des années 1940 qui finissent par abandonner leur sempiternelle chemise de nuit. Inspirant le monde de la mode, il devient l'uniforme de la haute société. La princesse, icone de mode et créatrice Irene Galitzine le réinvente en version ultra luxe dans les années 1960 sous le nom de palazzo pyjama.

«En devenant adulte, deux envies régressives naissent chez l'homme. Il peut vouloir s'écarter de l'homo faber, l'homme laborieux, travaillant en costume, et de l'homme qui doit progresser, en compétition avec lui-même. Soit deux postures diurnes» explique le sociologue et fondateur de l'Institut d'Etudes Eranos, Michael Dandrieux (1). Et de continuer: «Le pyjama, vêtement de la nuit de la volonté et du repos, permet de s'écarter de ce qu'on attend de vous socialement mais aussi par rapport à ce que vous attendez de vous-même». Se mettre en pyjama signifie que l'on s'adonne aux activités du repos, de cocooning, et du ludique, à tout ce qui est de l'ordre de la non-productivité. Encore aujourd'hui, l'homme qui sort en pyjama est donc perçu par l'inconscient collectif comme une figure transgressive car il exprime une distance par rapport à la productivité.

Redonner au jour l'éclat de nos nuits blanches

Le dormcore ou le luxueux art de vivre en pyjama

Mais s'il était perçu ces dernières décennies comme l'apanage ringard de nos grands-parents ou de Hugh Hefner, le fondateur de Playboy jamais sans sa robe de chambre rouge, le pyjama refait des émules au sein des hautes sphères de la mode, devenant même un art de vivre. Il permet de repasser de l'homo laborans à l'homo ludens, au luxe du loisir. «La meilleure manière de questionner la valeur du travail qui est aujourd'hui en crise c'est en mettant en avant les valeurs du repos. Qui ne renvoie pas au farniente mais bien au renouvellement. La nuit et par extension le pyjama permettent de se ressourcer, de se reconnecter à nos dimensions intérieures et à l'onirique. En enfilant un pyjama, on se ressource et se reconnecte au monde de la rêverie», analyse Michael Dandrieux.

Pour l'automne-hiver 2013-2014, Marc Jacobs envoie des femmes en nuisette et pyjamas sur les podiums de sa propre marque, de sa ligne bis, et de Louis Vuitton. Et puisqu'on est jamais mieux servi que par soi-même, il prouve la portabilité de sa tendance en saluant à la fin de ses shows en pyjamas coordonnés, signés respectivement Prada, Comme des Garçons, et Louis Vuitton x Chapman brothers. Cette tendance forte chez la femme déborde aussitôt chez l'homme, qu'on a pu voir débouler en pyjamas sur les podiums d'Haider Ackermann, Dries van Noten, et Ermenegildo Zegna pour le printemps-été 2014 et 2015.

Revu notamment chez Gucci et Dolce & Gabbana cette année, le pyjama se retrouve aussi du côté des marques pointues comme Drôle de Monsieur qui propose un kimono-robe de chambre. Du côté des chaussures, la mode des slip-on et des slippers, ces chaussures à enfiler aussi facilement que des chaussons, tient de cette tendance dormcore. Maison Margiela, dirigée par John Galliano, va plus loin en inventant des sneakers féminines aussi douillettes que des chaussettes.

Cette tendance persistante donne naissance à des marques spécialement dédiées au pyjama de luxe. Impressionné par l'élégance nonchalante de l'artiste toujours en pyjama Julian Schnabel, l'homme d'affaires Andy Spade fonde en 2013 Sleepy Jones. La marque sort notamment des pyjamas dessinés par des artistes comme le modèle John Derian cette année. Cette saison, la marque ukrainienne de vêtements de nuit haut de gamme Sleeper se décline maintenant au masculin. Avec leur modèle bleu ciel nommé «Frank Underwood» en référence au héros de la série Netflix , la griffe pointue prouve qu'elle a parfaitement saisi le retour de hype du pyjama.

Le linge de lit s'affirme même comme soin anti-ride du côté de Sleep'n'Beauty. La marque américaine, distribuée en France par Climsom, propose des taies d'oreiller en soie anti-acariens, antibactériennes, respectueuses du film hydrolipidique de la peau. Les protéines et acides animés naturellement présents dans la soie optimiserait l'important travail de renouvellement cellulaire nocturne. En prime, la douceur de la soie serait moins favorable à la chute de cheveux que le coton. La maison Dumas réalise quant à elle des oreillers sur-mesure depuis son atelier éphémère installé à Paris (11 bis rue Elzévir, 75003 Paris). Le culte de la performance et de l'image contemporain atteint donc même le sommeil qui se transforme en épreuve stylistique.

Plus cantonné au caprice de stars se ramenant sur le tapis rouge en pyjama, le vêtement de nuit devient une tenue diurne possible qui nous connecte au rêve mais aussi aux autres: «même dans l'espace privé qu'est la nuit, le social continue de s'exprimer, par sa ritualisation, par le choix des motifs de sa literie et de son pyjama» poursuit Michael Dandrieux. D'une contrainte biologique insupportable pour certain, la nécessité de dormir devient donc une inspiration pour la mode qui a besoin de se ressourcer.

(1) Michael Dandrieux, sociologue et fondateur de l'Institut d'Etudes Eranos, est l'auteur de Pour une sociologie de l'invisible (le rêve, la magie, et la métaphore), CNRS éditions, à paraître courant 2016.