• 23/04/2022
  • Par binternet
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Bill Willis, l'esthète de Marrakech<

Archives personnelles Bill Willis

Séduits par ce terrain de jeu magique, ils sont nombreux à édifier leur jardin secret à l’intérieur des remparts de la médina, comme Paul Getty, qui demande à son ami Willis de lui restaurer le magnifique palais de la Zahia (repris ensuite par Alain Delon puis Bernard-Henri Lévy). Ce sera la première œuvre de l’architecte au Maroc. Willis incarne le chic à l’état pur avec son physique à la Montgomery Clift. Même regard charmeur, encadré par des pommettes saillantes, mais avec des yeux verts et une tignasse noire bouclée. « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi glamour. Bill avait un goût et un style hors norme. C’est dommage que Marianne [Faithfull] soit en voyage, elle aurait aimé vous parler de lui », confie Bill Strongi, un ancien ami de l’architecte, joint par téléphone en Italie. Avec la chanteuse anglaise et une poignée d’autres, cet ancien coiffeur est l’un des rares rescapés de cette joyeuse bande qui n’a pas été emporté par le sida ou les abus de fête, de kif et de cocaïne. Disparu le marchand de tableaux Robert ­Fraser, disparu Joe McPhilipps, directeur de l’école américaine de Tanger ou Preston Scott, le vieux condisciple d’université, disparue la belle Talitha Getty, emportée par une overdose à l’âge de 30 ans, disparu le couturier Yves Saint Laurent, à qui le Maroc doit tant.

« À l’époque, Marrakech est une princesse endormie boudée par les Rabatis et les Casaouis », se rappelle Quito Fierro, le secrétaire général du jardin Majorelle, qui a bien connu Willis. La palmeraie est encore sauvage. Jacqueline Foissac, sa mère, aujourd’hui âgée de 89 ans, fait partie de ces pionnières à y acquérir un terrain pour construire, en 1968. « On n’avait pas d’électricité mais on donnait des soirées incroyables tous les soirs ! » La ville ne compte alors pas plus d’une boîte de nuit et de deux bars où l’on sert de l’alcool. Mais c’est en coulisse, dans les soirées privées, que se déroule la fête. Les plus somptueuses villas s’ouvrent sur des jardins luxuriants domptés par les meilleurs paysagistes, tel Madison Cox, auteur du jardin Majorelle et de celui de la villa Oasis, résidence de Pierre Bergé et de feu Saint Laurent.

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Bill Willis, l'esthète de Marrakech

« Nous avons fait la connaissance de Bill la semaine de notre arrivée, en février 1967, lors d’un dîner chez les Getty », raconte Pierre Bergé qui nous reçoit en juin dans la villa Oasis, l’ancienne résidence du peintre Jacques Majorelle. Il précise : « Ira Belline, une Russe apparentée à Tolstoï, ex-­créatrice de costumes pour Louis Jouvet, et l’artiste Brion Gysin, l’inventeur de la ­Dreamachine [une machine à hallucinations sans drogue], étaient de la partie. » Cinquante ans ont passé mais le souvenir de ce premier séjour est encore vivace. « Au départ, comme tout le monde, nous étions venus pour le soleil », dit-il non sans ironie en se remé­morant la semaine pluvieuse passée avec Yves Saint Laurent à la Mamounia. Dans ses Lettres à Yves (Gallimard, 2010), l’homme d’affaires décrit ce baptême en terre exotique : « Un matin, nous nous sommes réveillés et le soleil était là. Le soleil marocain qui fouille dans les recoins. Les oiseaux chantaient, l’Atlas barrait de neige l’horizon, les odeurs de jasmin montaient dans notre chambre. Ce matin-là, nous ne l’avons ­jamais oublié parce que, d’une certaine manière, il a décidé de notre destin. » Happé par le lieu, le couple n’attend pas pour acquérir sa toute première demeure dans la médina : Dar el-Hanch (la maison du serpent), ex-propriété de Maurice Doan, le beau-frère de Barbara Hutton. « Bill est le premier à avoir eu un “œil” exact sur ce pays. Tous ceux qui sont arrivés après ont marché dans ses pas », déclare d’entrée de jeu Bergé.