• 20/04/2022
  • Par binternet
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Kim Jones met Fendi à l’heure anglaise<

Paris Match. Des punks avant l’heure, dites-vous à propos de Virginia Woolf et du Bloomsbury Group, ce mouvement artistique moderniste du début du XXe siècle. Il vous a inspiré votre première collection de haute couture pour Fendi …Kim Jones . Je les adore. Quand j’étais adolescent, mes parents avaient une maison de campagne à deux pas de celle de Virginia Woolf, Charleston Farmhouse. Une ferme où, avec elle, son amante, la poétesse Vita Sackville-West, et sa sœur peintre, Vanessa Bell, la fine fleur des artistes et intellectuels du romantisme anglais menait une vie de bohème et de créativité collective. Férocement opposés à la normalité, ils flirtaient les uns avec les autres. Certains étaient homosexuels, fréquentaient les suffragettes. Le Bloomsbury Group est un mouvement artistique particulièrement novateur dans la Grande-Bretagne prude et victorienne. Leur foisonnement d’idées et leurs personnalités avant-gardistes me fascinaient.

C’est à l’Anglais Charles Frederick Worth que la France doit sa première maison de couture, en 1858. Vous aussi êtes britannique. A votre tour d’écrire l’histoire de Fendi, griffe italienne dont le propriétaire est le Français Bernard Arnault…J’ai vécu partout dans le monde. Rien ne serait plus étriqué que de ne pas partager entre nos pays. Mais j’aurais préféré que l’Angleterre reste européenne. Je suis heureux d’être à moitié danois !

Pourquoi, selon vous, les talents de la Couronne rayonnent-ils autant à la tête du luxe français ?Entre nous, la solidarité n’est pas un vain mot. [Rires.] Ça vient, à mon avis, de notre façon très spontanée de penser et de travailler. Le système éducatif britannique favorise l’autonomie. Peut-être nous permet-il d’être plus indépendants, contrairement à la scolarité française, plus théorique et un peu moins libre. Le pire, pour moi, c’est de m’entendre dire non ! De toute façon, je fais comme bon me semble. Mais vous avez le génial Olivier Rousteing , qui apporte jeunesse et énergie à Balmain…

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance en Afrique ? Que vous a-t-elle appris ?Que je dois y retourner souvent ! J’ai le souvenir des longs après-midi sauvages. J’attrapais tout ce que je pouvais. Je chassais des lézards et des serpents venimeux. Je suis chanceux d’avoir vu des éléphants passer devant notre camp. L’Afrique m’a montré à quel point le monde est vaste et beau. Mon père, hydrogéologue, a parcouru le monde avec femme et enfants. Je veux découvrir des pays étrangers et passer mon temps à regarder autour de moi.

Comment vous êtes-vous approprié Fendi, cette maison sur laquelle Karl Lagerfeld régna cinquante-quatre ans, avec les cinq filles du couple fondateur ?Moi qui n’ai plus mes parents, j’ai retrouvé un clan. Maintenir l’âme de cette famille est une question de respect. Fendi est l’histoire de cinq femmes fortes et pionnières. Delfina, la fille de Silvia, appartient à la prochaine génération. Elle nous a rejoints pour créer les bijoux. La maison est la signature ; le designer, la façon de l’écrire.

Kim Jones met Fendi à l’heure anglaise

C’est une lourde responsabilité que d’être directeur artistique de deux griffes de luxe aussi majeures, Dior Homme et Fendi, dont le chiffre d’affaires est estimé à 1,5 milliard d’euros en 2019. D’autres ont craqué. John Galliano, Lee Alexander McQueen…Ça fait longtemps que j’ai arrêté de me stresser pour mon travail. Il faut juste avoir la tête sur les épaules et bien l’ajuster ! Alexander était comme un grand frère pour moi ; mais, arrivé à ce moment de sa vie, il était difficile de l’aider. C’est une histoire très triste. Je l’aimais. Ce que fait John aujourd’hui, chez Margiela, est magnifique. Il faut gérer les épreuves à mesure qu’elles se présentent, ne pas les garder pour soi. Si vous n’en parlez pas, vous êtes foutu. J’ai traversé des moments difficiles dans ma vie, mais cela me permet d’être fort face aux difficultés. Ma mère est morte quand j’avais 17 ans. J’ai perdu mon père l’année dernière.

Vous êtes d’un naturel discret et, pourtant, en pleine lumière. Vos amis sont célèbres : Kanye West, avec qui vous avez travaillé, Kim Kardashian, David Beckham, Naomi Campbell, Kate Moss…Ma renommée n’est pas stressante. Je ne suis pas traqué par les paparazzis ! Les gens m’arrêtent parfois dans la rue, j’aime discuter avec eux. Les plus jeunes me demandent comment j’ai débuté. A leur âge, mes amis et moi ne rêvions pas de devenir acteurs de cinéma, mais créateurs de mode. Mes proches sont célèbres, mais j’ai gardé des copains de classe du Sussex, et mon meilleur ami est enseignant. J’aime les éclats de rire de Kate Moss. Nous nous amusons comme des gosses, tous les deux. J’ai passé Noël avec elle. Je peux l’appeler à n’importe quelle heure, elle sera toujours là pour moi. Je lui ai demandé d’être consultante pour les accessoires Fendi. Elle a tellement la mode dans le sang !

La robe que porte Lila Grace, sa fille, évoque la rivière dans laquelle Virginia Woolf s’est noyée. Elle est faite de 180 000 perles de verre de Murano ! Quel est le sens d’un tel luxe, en pleine crise sanitaire ?Les gens se tournent vers les points lumineux plutôt que vers l’obscurité. Je maintiens l’optimisme, beaucoup d’emplois en dépendront à la sortie de cette crise.

Le bien-être animal est au cœur des débats de société et fait l’objet de nouveaux décrets. Est-il possible de maintenir Fendi, historiquement une maison de fourrure, dans son époque tout en continuant d’exploiter des animaux vivants ?Nous cherchons et réfléchissons, nous étudions le recyclage. Je suis en étroite collaboration avec un grand nombre de groupes de protection animale qui œuvrent à la sauvegarde des espèces menacées. Les visons d’Amérique du Nord qui ont été relâchés des fermes à fourrure en Europe, parfois par des activistes ou accidentellement, et qui remontent les cours d’eau sont un fléau pour la biodiversité. Si nous pouvions les attraper vivants, les retirer de l’écosystème, nous aiderions à se reproduire les autres petits mammifères sauvages qu’ils déciment, comme le vison d’Europe en danger critique d’extinction. Je ne suis chez Fendi que depuis quelques semaines, donnez-moi du temps pour avancer sur ces questions.

Si la mode a le pouvoir d’imposer une image, peut-elle influer sur notre monde ?Je n’aime pas utiliser la mode à des fins politiques, mais pour créer une joie de vivre. La mode permet aux gens de se sentir bien. Elle a ce pouvoir.

Vous êtes un grand collectionneur d’œuvres d’art et de livres.En fait, j’ai toujours voulu être peintre, je peins encore. J’aime voir la beauté autour de moi, elle m’inspire. Mes tableaux préférés sont accrochés là où, chez moi, je suis le plus souvent. Je peux les regarder tout le temps. Ma collection n’est pas thématique. J’ai la chance d’avoir un Magritte, une « Lorette » de Matisse dont j’ai hérité d’un proche, des livres rares de Virginia Woolf, un ensemble de figurines de “La planète des singes”, des objets de l’icône queer Leigh Bowery. Et je suis très fier de ma collection de mode anglaise du XXe siècle, dont le premier vêtement fait main par Vivienne Westwood pour sa boutique Sex, à Londres.

Votre premier coup de foudre “fashion” ?Un tee-shirt imprimé d’un lion, qu’il fallait laver tous les soirs pour que je puisse le porter le lendemain. Je ne le quittais jamais. Il est presque en lambeaux, je le conserve précieusement dans une boîte. C’est le premier souvenir qui me rappelle le moment où je suis tombé amoureux fou du vêtement.

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