• 04/05/2022
  • Par binternet
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Natacha Calestrémé happyness thérapeute, superstar du développement personnel<

« Vous permettez que je vous raconte ?, lance une voix enthousiaste au téléphone. Les médiums, les énergies, les guérisseurs, ce n'est pas mon truc, je suis cartésien de chez cartésien. J'ai été opéré d'une hernie discale, j'ai souffert comme un dingue, avant et après. Elle est revenue quelques mois plus tard avec une douleur insupportable. Un jour, je suis sous morphine, dans ma voiture avant un rendez-vous, j'en pleure tellement c'est insoutenable. Je reçois un coup de fil de Natacha, rencontrée il y a peu. Elle propose de me guider durant dix minutes. Au fond du trou, dans ma bagnole, sous la pluie, je n'ai rien à perdre. Elle me fait un protocole chamanique, un genre d'hypnose dans laquelle on imagine un animal précis qui viendrait prendre notre douleur pour la soulager et réparer l'endroit blessé. Je trouve ça délirant bien sûr, mais je suis immédiatement soulagé. Du coup, je le refais seul le lendemain, et puis les jours d'après. Ma hernie a disparu en trois mois. Sans opération. Vous n'êtes pas obligée de me croire. Mon médecin n'en revenait pas. Je vous envoie mes scanners et IRM avant/après ? Vous voulez appeler le médecin ? Ses protocoles sont tellement puissants, je ne sais pas comment ça marche, mais c'est du délire. » Il faut dire que cet homme entier, qu'on devine émotif, c'est Mathieu Johann, l'attaché de presse de Natacha Calestrémé pour Albin Michel. Un garçon plus habitué à promouvoir les vedettes du petit écran que les auteurs de best-sellers, habilement choisi par la maison d'édition pour sa fougue de converti. On pourra penser qu'il fait bien son boulot. Pourtant, des témoignages similaires envahissent depuis quelques mois les réseaux sociaux, notamment la chaîne You-Tube aux près de 67 000 abonnés de Natacha Calestrémé.

©Audoin Desforges

Son succès hors norme est uniquement boosté par le bouche-à-oreille

Vous n'avez peut-être jamais entendu son nom, mais, depuis la rentrée, cette journaliste et thérapeute formée à l'hypnose remplit les salles de France et de Belgique. Ses conférences et ateliers affichent complet aussitôt annoncés et rassemblent jusqu'à 500 personnes, dont une écrasante majorité de femmes. Sur Instagram, le public en redemande sur le mode « à quand dans le Finistère ? » (@sevelmt), « en Corse ? » (@laeti.therapie), « en Haute-Loire ? » (@evelyne.d.vincent), « à Limoges ? » (@dudobroth). Cette grande blonde à la beauté spectaculaire est en train de devenir une rock star du développement personnel, l'incarnation d'un petit phénomène de société.

Paru au moment du confinement, privé de toute promotion, son livre « La Clé de votre énergie » est toujours en tête des meilleures ventes de la rentrée en non-fiction : plus de 300 000 exemplaires selon Gilles Haéri, le très heureux patron d'Albin Michel. C'est plus qu'Amélie Nothomb. Un succès hors norme, uniquement boosté par le bouche-à-oreille. Il a déjà été vendu dans sept pays et devrait l'être dans différents pays d'Asie avant Noël. Paru le 13 octobre, « Trouver ma place. 22 protocoles pour accéder au bonheur » se hisse déjà aux côtés du premier dans les listes, avec 110 000 exemplaires vendus en deux semaines… Et vous pourriez bien le retrouver sous le sapin de Noël, offert par une âme qui vous veut du bien. Un succès spectaculaire comparé à ses précédents polars, tissé loin des grands médias traditionnels. Pourtant chacune de ses apparitions suscite une ferveur rare : plus d'un million de vues sur la chaîne YouTube de Fabrice Midal, idem pour le podcast « Métamorphose », jusqu'alors confidentiel.

Qui est cette femme qui dit recevoir entre 50 et 100 messages personnels de gratitude chaque jour ? Un nouveau gourou du bien-être, une magicienne promettant monts et merveilles, miracles compris ? Son succès raconte une société qui va mal, en quête de solutions clés en main pour aller mieux, « se libérer émotionnellement », comme l'annonce le bandeau d'un des livres. Jusqu'alors, les apôtres célèbres du développement personnel étaient plutôt des hommes, Christophe André, Frédéric Lenoir, Matthieu Ricard, Fabrice Midal… Ici, c'est une grande fille lumineuse qui arrive à notre rendez-vous dans un hôtel de Montparnasse, débarquant tout juste du Lot où elle vit. Émotive, elle aussi. Être interviewée dans ELLE quand on a écrit « Trouver ma place » et que cet objectif a été le combat de toute une vie, non seulement auprès d'une sœur jumelle mais aussi d'un mari, voilà qui lui met les larmes aux yeux. Elle y voit un symbole, un accomplissement… et tout simplement une nouvelle preuve que sa méthode fonctionne au-delà de ses espérances ! Vêtue d'un costume rouge qui claque, elle incarne avec le sourire la sérénité promise dans ses livres, et ce n'est pas pour rien dans son succès. Elle confirme sans tortiller : « Je pense être l'exemple vivant de quelqu'un qui a nettoyé ses blessures émotionnelles, effacé ses cicatrices. » Aussitôt, elle raconte en bonne copine, avec un vrai talent du storytelling, là où elle en était en 2015 : « Au paroxysme de la douleur. Cette année-là, il n'y a plus un seul domaine qui tient dans ma vie, détaille-t-elle. Professionnellement et financièrement, je suis au point zéro. Familialement, après un divorce très douloureux, entourée de personnes qui me veulent du mal, je pleure tous les jours. Ma petite sœur meurt à 44 ans après plusieurs mois de coma. Ma meilleure amie meurt après avoir été vidée de son énergie par un harcèlement. Et je me retrouve paralysée par une double hernie discale. Il me restait quoi ? Rien ou presque. J'ai voulu m'en sortir. »

Natacha Calestrémé happyness thérapeute, superstar du développement personnel

©Nicolas Roses/Abaca

« J'ai guéri. Ma vie s'est transformée, sublimée »

Longtemps reporter pour « Enquêtes extraordinaires » sur M6, cette baroudeuse avait rencontré aux quatre coins du monde des guérisseurs, des médiums, des chamanes. En lui confiant leurs techniques de guérison, ils l'ont, dit-elle, peut-être comme son grand-père coiffeur le jour et magnétiseur la nuit, « incitée à porter un autre regard sur les blessures de la vie ». « J'ai appliqué ces techniques chamaniques et énergétiques que j'ai transformées en protocoles applicables par tous, écrit-elle. Semaine après semaine, mois après mois, je me suis reconstruite en identifiant mes émotions, en me libérant de blessures héritées de ma famille, en éloignant mes peurs, en déculpabilisant. J'ai guéri. Ma vie s'est transformée, sublimée. »

Forcément, ça vend du rêve. Sa méthode repose sur des principes qui en feront halluciner plus d'un. D'abord celui emprunté à Jung, selon lequel les épreuves de la vie ne sont pas là par hasard mais auraient un sens caché. Toutes : de la fuite d'eau dans la salle de bains à la mort prématurée d'un proche, en passant par les amours malheureuses ou la maladie grave. Des emmerdements les plus bénins aux événements les plus cruels. Selon elle, tant que l'on n'a pas compris leur message symbolique, on prend le risque de les voir se reproduire à l'infini. Mode d'emploi selon cette thérapeute formée en hypnose ? « Il faut identifier l'émotion associée à chaque épreuve et remonter à l'origine de nos blessures. On identifie ensuite les cycles qui se rejouent entre les épreuves du passé et/ou celles que l'on a héritées de membres de notre famille. C'est ce que la science appelle l'épigénétique et les psychologues les héritages transgénérationnels. » Comme son mari Stéphane Allix, auteur de best-sellers tournant autour du mystère de la mort (comme « Le Test », Mama Éditions), Natacha Calestrémé flirte sévèrement avec l'irrationnel, mais défend une posture cartésienne coûte que coûte pour ne pas « être prise pour une illuminée » : « Je suis d'abord journaliste et la science me rassure, se défend-elle. Quand j'ai compris que les protocoles marchaient sur moi, j'ai d'abord cru à un hasard. Avec les autres, j'ai été interloquée par les résultats. J'ai voulu comprendre pourquoi en rencontrant les scientifiques cités dans mes livres. Philippe Bobola, par exemple. Docteur en chimie physique, biologie, anthropologue et chercheur sur le cancer, il explique que notre corps est constitué de presque cent fois plus (99,99 %) d'énergie et d'informations que de matière. Giacomo Rizzolatti, biologiste et directeur du département des neurosciences de la faculté de médecine à l'université de Parme, a démontré le rôle des neurones-miroirs : ils font croire à notre cerveau qu'une situation imaginée comme réelle est bien réelle. Cela permet, par la force du mental, de soulager des douleurs physiques et parfois même de s'auto-guérir. »

Vouloir paraître rationnelle même quand elle explique que faire un protocole symbolique dans son coin avec ou sans bougie peut avoir un impact dans le réel dès les jours qui suivent, au prétexte que « l'univers répond » ? Même pas peur ! Pour elle, tout est bon pourvu qu'il y ait des résultats concrets, palpables, sous forme de changements. Elle se situe quelque part entre la Bible (« Aide-toi, le ciel t'aidera ») et Jean-Paul Sartre (« On peut toujours faire quelque chose de ce qu'on a fait de nous ») et l'assure comme une certitude, presque une évidence : « Si on change le regard qu'on porte sur elles, nos épreuves nous permettent d'ouvrir un chemin pour se libérer et aller mieux, récupérer une énergie qu'on n'a jamais eue, réussir enfin à être bien dans notre couple, au boulot, avec nos enfants. Souvent, il s'agit de nettoyer les liens de souffrance avec les personnes vivantes ou mortes de notre lignée, et se libérer ainsi des fardeaux émotionnels qui pèsent sur nos épaules. »

©Instagram@natachacalestreme

« Natacha est la première à avoir su vulgariser des thématiques hâtivement rejetées dans le champ de l'ésotérisme »

Ce ne sont pas des recettes de cuisine, lit-on, pourtant elle donne l'impression qu'à tout problème, la solution est à portée de main, non sans l'aide de « nos guides spirituels ». À l'heure où les sorcières ont du succès, s'agit-il de magie ? « Non, c'est tout sauf ça ! réfute-t-elle. C'est un travail d'introspection parfois difficile qui dure toute la vie. Mais pour que ça marche, il faut en avoir le désir profond, avoir l'envie d'avancer. On ne peut pas se satisfaire des premiers résultats positifs, même s'ils sont parfois fulgurants et produisent un effet “waouh”. D'autres choses prennent plus de temps, trois mois, trois ans… Tant que les résultats attendus ne sont pas là, cela signifie que l'on n'a pas encore compris le message important de l'épreuve, probablement un héritage transgénérationnel que l'on n'a pas encore résolu. » Argument imparable ?

« Natacha est la première à avoir su vulgariser et faire découvrir à un large public des thématiques hâtivement rejetées dans le champ de l'ésotérisme, décrypte Gilles Haéri, patron d'Albin Michel, qui s'amuse de voir comment les salariés de la maison se sont tous mis à faire les protocoles. Elle sait transmettre avec conviction les expériences et les intuitions psychologiques que son cheminement personnel et spirituel lui ont permis d'élaborer. » Le philosophe Fabrice Midal, qui a la particularité d'être à la fois un auteur de best-sellers portant sur la méditation ou l'hypersensibilité et un éditeur de développement personnel, lève son chapeau : « Ce qui se passe est très rare dans le milieu de l'édition : on trouve une écriture, un propos de fond et un auteur parfaitement alignés. Natacha a souffert, elle s'en est sortie et elle veut donner les clés aux autres. Sa grande force est d'avoir transformé des savoirs ancestraux et des principes oubliés en rituels symboliques. »

On peut aussi imaginer que dans une société anxieuse, souffrant de contraintes subies et notamment celles liées au Covid-19, le désir de sortir du sentiment d'impuissance fait le reste, avec une promesse d'empowerment à la clé. « En la lisant, on n'est plus enfermé dans son malheur, assigné par le destin et défini par lui, contrairement à un certain discours psychologique, précise Fabrice Midal. On peut découvrir qu'on a le pouvoir de s'en libérer seul, qu'on n'est pas une victime. » Les psys, qui envisagent la transformation intérieure au travers d'un lien exclusif noué entre eux et leur patient, ne seront pas sur la même longueur d'onde. « Ces livres font croire que l'on peut tout sur soi, qu'il suffit de le vouloir, critique une psychanalyste parisienne qui souhaite rester anonyme. Le désir de toute-puissance narcissique et infantile est renforcé, d'où leur succès. Mais c'est un discours simpliste qui peut être culpabilisant, en laissant penser que si rien ne bouge pour soi, c'est qu'on est incapable de comprendre notre histoire familiale, ou pas assez motivé, en bref, vraiment nul ! » Natacha Calestrémé ne prend plus de nouveaux patients, faute de temps, mais elle est sûre que chacun a désormais les clés pour se dépatouiller seul et « faire sa tambouille personnelle ». Un jour, elle a donné une conférence sur « l'âme des lieux de vie » devant des anciens d'HEC devenus patrons du Cac 40, largement dubitatifs. Elle a fini par les décoincer avec sa bonne humeur et son pragmatisme à toute épreuve : « Qu'on y croie ou pas, quelle importance ? Quand on constate que ça marche, pourquoi se priver de l'aide de l'invisible ? »

©Instagram@natachacalestreme