• 28/07/2022
  • Par binternet
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Le traditionnel costume des hommes occidentaux se transforme encore une fois. Premier texte: doit-on dire adieu au costume-cravate?​À Tout le monde en parle, l’émission qui a remplacé la grand-messe du dimanche dans le Québec postcatholique, on ne voit à peu près aucun costume. Et surtout, adieu la cravate.

Sauf erreur, les seuls à l’avoir portée depuis le début de la nouvelle saison sont Justin Trudeau, le commentateur politique Luc Lavoie et l’homme d’affaires Serge Savard, ex-hockeyeur surnommé «le sénateur». Cet habit ne fait plus que le moine du pouvoir. Quand il ne joue pas au golf, le président Donald Trump ne porte que des Brioni baggy à 6000$ que plusieurs stylistes jugent fort mal coupés pour sa silhouette gonflée.

Pour le reste, partout ailleurs, le costume se réduit et s’appauvrit. Le complet manque. Le complet semble soudainement incomplet et ne plaît plus.

On ne compte plus les articles sur le sujet de sa disparition. The Guardiandemandait carrément il y a quelques jours si ce vêtement central des deux ou trois derniers siècles a finalement expiré. Le site Vox a résumé autrement le constat cet automne en proposant que l’ancien symbole de pouvoir devient quasi exclusivement le signe d’un gars dans le trouble.

Le déguisement agencé et cravaté, c’est celui que se résigne à revêtir un accusé au tribunal, un endeuillé au salon mortuaire et Mark Zuckerberg chaque fois qu’il témoigne devant le Congrès des États-Unis. Sinon, le multimilliardaire fondateur de Facebook reste en jeans et en t-shirt comme tous les magnats du nouveau capitalisme supposé cool.

Les chiffres semblent confirmer les prédictions de malheur pour l’uniforme des conformistes. Selon des données de la firme mondiale des tendances en marketing Kantar, les ventes de complets ont reculé de 7% l’an dernier dans le monde, celle des cravates de 6%, et celles des blazers de 10%.

Mutations

En fait, le costume masculin ne meurt pas, il se transforme. Le vêtement est un langage en perpétuelle mutation. L’abandon de certaines règles ne les fait pas tomber toutes. Le casual Friday, c’est encore une codification, même quand c’est tous les jours vendredi.

«L’allure, l’attention portée aux détails, le choix des vêtements communiquent un message aux gens et je crois que c’est important de communiquer le bon message», commente l’avocat Pierre T. Allard, associé et membre du comité exécutif chez BCF, spécialisé en droit fiscal, achat et vente d’entreprises. «Pas besoin d’une cravate pour rassurer les clients sur ta compétence. Mais si ton habit est mal ajusté et que tes souliers sont sales, tu envoies peut-être le message que tu ne fais pas attention aux détails. Je fais donc une grande distinction entre être formel et faire attention aux détails.»

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Lui-même ne porte presque jamais la cravate («une fois par mois, pour un souper»), tout comme la grande majorité de ses collègues chez BCF, précise-t-il. «Je dirais que 10% des gens portent une cravate au bureau. Et le milieu des avocats est un des derniers assez traditionnels, plus encore que le milieu des comptables.»

Le jour de l’entrevue, dans les bureaux eux aussi très modernes chics du centre-ville, MeAllard portait un complet deux-pièces ceintré dans un ton vert forêt (avec son mouchoir de poche) sur un pull noir à col tortu, une ceinture et des souliers couleur marron. Comme le reste de sa garde-robe, ces vêtements ont été choisis par la styliste Émilie Lambert Roy. «Je n’ai pas le temps de magasiner, dit-il. Émilie sait ce que j’aime, elle a un oeil excellent et c’est finalement très pratique de faire affaire avec elle.»

Tendances

Il n’est pas le seul. MmeLambert Roy travaille pour Les Effrontés, compagnie montréalaise offrant des services de stylisme depuis une vingtaine d’années. Elle habille les hommes et décrit M.Allard comme son client le plus aventureux, capable d’accepter des choix de couleurs audacieux et les toutes dernières tendances.

La consultation chez Les Effrontés coûte un peu moins de 400$, «le prix d’un mauvais achat de vêtement», résume la pro rencontrée elle aussi au centre-ville. Le client type est un professionnel très occupé au mitan de la vie (vers 35-50ans), parfois avec un corps atypique, petit par exemple. Huit fois sur dix, les clients masculins sont recommandés par leur femme.

«La nouvelle génération réclame l’assouplissement des règles vestimentaires et les plus vieux acceptent le changement avec plaisir, poursuit-elle. Plus personne ne veut de cravate. Je ne me rappelle pas avoir entendu un client me dire qu’il trouvait cet accessoire confortable. Le mouchoir de poche a pris la place de la cravate et l’habit lui-même devient de moins en moins formel. En fait, je ne propose presque plus d’habits, qui comptent pour peut-être 20% des vêtements que j’achète.»

La conseillère en look se fournit dans les boutiques et pas chez les tailleurs. Mark Patrick Chevalier, fondateur de la boutique Sartorialto à Montréal, avoue d’ailleurs vendre moins de costumes, ce qui ne veut pas dire que ses clients ne trouvent pas d’autres options, au contraire.

«Il reste de moins en moins de codes vestimentaires stricts. Mais il en reste encore beaucoup. Le costume est moins rigide qu’il était. Les Québécois adoptent le look plus décontracté, un pantalon et un veston qui ne forment pas un complet, de beaux souliers, un mouchoir de poche ou une cravate de temps en temps», dit-il, assis dans sa boutique, habillé exactement comme ce qu’il décrit.

Le fait sur mesure occupe un marché de niche, évidemment. C’est Sartorialto qui fournit P.K. Subban, dandy contemporain on ne peut plus audacieux dans ses choix vestimentaires. «Nous, on habille les dandys de chaque groupe», corrige le tailleur en chef.

La boutique de la rue Papineau déborde de tissus imprimés (chinés, nattés, bigarrés, bringés…) aux couleurs du jour, dont le vert forêt. Le tailleur propose aussi des souliers sur mesure.

«Le vêtement, c’est la première carte de visite, dit M.Chevalier. Ce que le costume représente, la conformité, la rigidité, tout ça a été ébranlé et finalement cassé par plusieurs mouvements successifs sur plusieurs décennies, dit-il. Il y a cinquante ans, les gens allaient à l’église et se montraient. Il n’y a plus de ces rencontres et moins d’événements et d’occasion de se faire voir.»

La grand-messe du dimanche. On y revient et on en revient…

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