• 04/12/2022
  • Par binternet
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mode : toutes les tendances Hermès : « Le costume n’embourgeoise pas, il libère »<

Véronique Nichanian se présente modestement comme faisant « des vêtements modernes et pour longtemps » alors qu’elle est la directrice artistique de tout l’univers masculin d’Hermès. Il faut dire que rien ne la prédisposait à habiller les hommes. Elle est éberluée quand Nino Cerruti, à la sortie de l’école (la Chambre syndicale de la Couture), la contacte pour un poste d’assistante, lui qui avait aimé son coup de crayon. Il lui dit : « C’est intéressant, dessine-moi de l’homme pour lundi. » Et c’est ainsi qu’elle commence, à 19 ans, une carrière dans un milieu où ce sont les hommes qui décident. Aujourd’hui, pour quiconque s’y connaît un peu, posséder un costume Hermès est le Graal. Ce que Véronique Nichanian a en tête et qui se voit dans les habits qu’elle crée, c’est un garçon de notre époque, qui n’a rien de vintage mais qui n’ignore rien de ce qui l’a précédé. Les mannequins qu’elle choisit pour ses shows sont légendairement beaux et élégants, tous avec un supplément d’âme. Ils portent aussi le costume comme personne. Voilà pourquoi elle est celle avec qui parler du rôle du costume en 2019.

Que cela signifie-t-il, pour un homme, de porter un costume aujourd’hui ?

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A mon sens, cela veut dire que c’est un choix et que cet homme a envie d’être sexy, de voir son corps dessiné. En cela, les choses ont changé. Le statut social compte moins, les diktats sont moins forts. Certes, le costume est parfois obligatoire, il devient alors presque un uniforme, mais c’est un épiphénomène. En réalité, on est aujourd’hui beaucoup moins obligé de se plier à une norme vestimentaire, il y a des tas d’autres propositions, des pantalons et des vestes pour tous les jours… Le désir prime et c’est ce qui compte.

Des diktats, on en a encore un peu…

Oui, bien sûr. Comme, par exemple, quand Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, se présente pour témoigner devant un grand jury, aux Etats-Unis. Il vient en costume-cravate, lui qu’on avait l’habitude de voir en sweat-shirt. Mais on est dans un cadre très protocolaire. Lors des essayages chez nous, je vois bien l’effet que le costume produit sur les mannequins. Ils arrivent avec un blouson et un jean et à partir du moment où ils enfilent le costume, ils se regardent dans le miroir, très fiers. Ils découvrent une autre dimension d’eux-mêmes. Ils se découvrent dans un vêtement construit. Les regarder s’observer dans la glace, c’est merveilleux. Quelque chose naît…

Véronique Nichanian est entrée chez Hermès en 1988

Ne sont-ils pas dépités de se voir devenir des messieurs, d’entrer dans la norme ?

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Non, parce que cette norme n’existe plus dans leur culture. Leurs parents ne sont pas comme ça, du coup ils regardent librement ces codes anciens ou à la lumière de films cool qu’ils ont vus. Ça ne les embourgeoise pas, ça les libère… Moi, quand j’ai commencé dans ce métier, la norme était partout. On commençait une vie professionnelle donc il fallait un air sérieux qu’on associait au costume. Seuls ceux exerçant des professions libérales, comme les architectes, pouvaient venir en polo, en veste en velours… Maintenant, on est aussi crédible en col roulé qu’en chemise.

Un costume, c’est aussi une matière très particulière qu’on porte sur soi, qui n’a plus rien à voir avec la grossière toile de coton d’un jean, par exemple. Il faut s’y habituer…

mode : toutes les tendances Hermès : « Le costume n’embourgeoise pas, il libère »

La douceur, c’est un aspect capital car cette matière onctueuse, en plus de provoquer des sensations, dessine aussi un autre corps. C’est d’abord sexy pour soi. Se sentir aussi bien, ça donne une aura, une confiance.

Ces jeunes qui soudain s’adorent en costard, pourquoi n’en portent-ils pas plus souvent ?

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Ça va venir, mais ils n’ont pas été élevés comme ça. Ils doivent s’initier par leurs propres moyens et ça prend du temps. Ce que je remarque, c’est qu’ils sont très tentés. Certes, ils imaginent encore que pour « s’habiller » il faut la circonstance qui va avec. Souvent, ils achètent un costume pour un mariage et puis ils prennent goût à le porter. C’est comme la cravate, ils ne la serrent pas complètement, du moins au début. Puis ils apprivoisent tout ça, ils apprennent à en jouer, exactement comme une femme apprend à jouer d’un vestiaire différent.

Achètent-ils beaucoup de vintage ?

Ça peut arriver mais pas vraiment au stade de l’initiation. Souvent, dès que l’on soupèse un costume vintage, on est découragé par son poids. Depuis quelques années, ils se sont considérablement allégés, ils offrent un confort que la génération de mon père n’aurait pu imaginer. Un tissu d’hiver pouvait être à 400 grammes le mètre carré, maintenant on a des tissus à 200 grammes. Et qui tiennent tout aussi chaud. Les entoilages sont très différents, on ne se met plus dans un carcan, la structure naît de la construction du patron et de la qualité des nouveaux tissages d’une finesse ahurissante. Les jeunes commencent surtout avec un costume moins cher puis comprennent que, sans qualité, ça ne dure pas très longtemps.

Backstage du défilé Hermès printemps-été 2019

Parfois, les costumes bon marché brillent trop ou sont trop épaulés…

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Quand on est jeune, on est beau dans tout. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de costumes ratés. Quand on s’y connaît, on en trouve peu d’assez réussis. En fait, c’est un casse-tête : vous pouvez très bien avoir un tissu parfait mais hélas, si c’est mal coupé, tout tombe à l’eau. Ensuite, vous pouvez avoir une belle matière qui peut se déformer très vite à l’usage si la construction n’est pas travaillée. C’est la qualité à toutes les étapes qui fait la différence, du choix de la matière à la fabrication.

Ce qui fait la différence, c’est surtout la construction ?

Oui ! C’est au millimètre, le cran, le revers, l’épaule, le montage… Pour qu’on n’ait pas l’air dans un sac, il faut des jours et des jours d’élaboration. Il faut également penser à la manière dont le vêtement va vivre, il ne doit pas se froisser quand on voyage. Bref, c’est quelque chose de précieux, qui n’est pas fragile. En fait, un costume est fait d’une somme de détails dont on ne se rend pas compte, sauf si on le porte. Et j’adore cette idée. C’est ça, le luxe.

Est-il compliqué de trouver les tissus ? On sait que trouver les bons cuirs est devenu toute une affaire…

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Les tissus, non. Mais il faut vraiment s’y connaître. Je connais les gens de ce métier depuis mes débuts, je les retrouve dans les salons où l’on présente des tissus. Je crois être l’une des seules avec Paul Smith à prendre ce temps-là, à avoir un contact direct avec les fournisseurs du monde entier pour faire des tissus exclusifs.

Diriez-vous que la qualité des tissus s’est détériorée avec le temps ?

C’est le contraire : les tisseurs ont fait un travail remarquable. Dans ce domaine, les Italiens sont des génies.

Et le corps des hommes, a-t-il changé ?

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Ils font beaucoup plus attention à eux, ils font du sport, ils mangent mieux. Le costume ne sert plus à masquer les défauts.

Backstage du défilé Hermès printemps-été 2019

A propos de sport, que pensez-vous de l’association baskets/costume ?

Je trouve ça très intéressant. Quand Mick Jagger s’est marié en baskets, en 1971, tout le monde l’a critiqué mais il annonçait quelque chose. Et si les baskets permettent aux hommes d’oser s’habiller de manière un peu plus recherchée, si ça vient comme une caution du reste, c’est formidable. Globalement, la question des chaussures est déterminante. Les hommes les plus chics du XXe siècle ont osé porter avec leur costume des chaussures inédites. Je pense à Gianni Agnelli, le patron de Fiat, en chaussons vénitiens, à John Fitzgerald Kennedy en espadrilles… On dit que la chaussure, c’est ce qui vous trahit. En effet, on voit tout de suite si vous prenez soin de vous ou pas, si vous faites attention « jusque-là ».

Les hommes que vous citez portaient aussi de la couleur. Jean d’Ormesson, divinement bien habillé, mettait des gris et du bleu ciel, il disait que ça l’éclairait. Et la couleur, c’est très important.

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C’est capital ! Mais je parlerais plutôt de se colorer. Il y avait beaucoup d’hommes dans des costumes sombres au siècle dernier. Dans les années 1970, ces affreux beige-jaune portés l’été en Tergal… Amener un homme à porter un costume bleu doux ou coloré n’est pas facile, mais c’est faisable. Ça passe beaucoup par les cadeaux. Quand on offre un pull d’une couleur inédite à un homme plutôt classique, il est étonné mais finalement le porte puisqu’il l’a ! Puis après quelques compliments, ça devient son pull préféré. Alors que de lui-même, il ne l’aurait pas acheté. Les choses évoluent dans le bon sens, je vois de plus en plus d’hommes porter de la couleur.

Le sportswear a dû bien aider à ramener de la couleur dans le vestiaire masculin.

Oui, et de vraies couleurs qui claquent. Et les hommes ont aussi pris le goût à d’autres matières. Ils ont pris goût au confort du Lycra, qui est un composant extraordinaire s’il n’est pas juste là pour pallier un problème de coupe.

Il reste tout de même une saison où le costume fait terriblement défaut, c’est l’été. Détrôné par le short. N’est-ce pas dommage ?

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L’été sonne avec liberté et, justement, j’aime l’idée que les hommes soient libres de leurs choix, je ne veux rien imposer… Le choix des matières pour les costumes d’été est large, il existe des laines froides ou des lins très légers, très frais. Eux aussi irrésistibles.

Propos recueillis Sophie Fontanel