• 24/08/2022
  • Par binternet
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Yiqing Yin : "Je ne peux pas imaginer un vêtement calibré pour Instagram"<

Un profil de ballerine entièrement vêtue de noir, une longue chevelure de jais, un regard aiguisé, Yiqing Yin ressemble à une esquisse saisie d’un trait de pinceau à l’encre de Chine, à la façon d’un Zhang Daqian. Une épure. Tout en elle évoque la grâce, la maîtrise et la détermination.

Née à Pékin en 1985, cette créatrice de haute couture a quitté la Chine à 4 ans, beaucoup voyagé avec ses parents antiquaires, avant que sa famille ne s’installe à Paris, où elle a grandi. «Ils m’ont transmis le goût des beaux objets, témoins d’une époque autant que d’une histoire personnelle. J’envisage la mode de la même façon.» C’est en découvrant l’exposition «Juste des vêtements», de Yohji Yamamoto, que Yiqing Yin - alors étudiante à l’École des Arts décoratifs en section sculpture -décide de devenir créatrice de mode, en 2005. «À l’époque, je rêvais plutôt de concevoir des objets qui embellissent la vie et le quotidien. La démarche de Yohji de créer des vêtements identitaires m’a foudroyée de sens. Soudain, la mode m’est apparue comme un habitat premier du corps, de l’esprit, de la personnalité.»

En vidéo, le défilé Yohji Yamamoto printemps-été 2020

Mode onirique

À seulement 25 ans, Yiqing Yin décide de se lancer dans la haute couture en créant sa maison. Un choix courageux, qui marque déjà sa volonté farouche de liberté. «Ce n’est pas le chemin de la facilité d’être indépendante : on cumule responsabilités et problèmes mais je fais un métier de passion.»

Dès lors, tout va aller très vite. Gagnante du Prix des premières collections de l’Andam en 2011, elle entre dans la cour des grands et défile pour la première fois lors de la semaine de la haute couture l’année suivante. Succès critique immédiat. Sa mode onirique, architecturale, cinématographique, frappe les imaginaires. Elle excelle dans les jeux de tensions entre matières rigides ou vaporeuses, plissées ou déliées, seconde peau ou coquille protectrice, dessinant la silhouette d’une femme à la fois guerrière et vulnérable. «Mon nom en chinois signifie "le passage du mauvais temps vers le beau temps". J’aime les contrastes.»

Exploratrice

Yiqing Yin :

Son atelier est son laboratoire de recherche. Elle travaille comme un sculpteur qui sublime l’allure. «Je ne peux pas imaginer un vêtement calibré pour Instagram, unidimensionnel, simplement joli de face. Je sculpte le corps en 3D, de façon intuitive, directement sur le Stockman. Un vêtement doit être pensé dans son intégralité, notamment en prenant soin des côtés. Jamais de coutures droites. Je préfère les diagonales, les arabesques, le biais, cela libère le mouvement. Le vêtement devrait être un outil d’émancipation du corps et de l’esprit.»

Réputé pour sa haute couture, Yiqing Yin travaille aussi pour le prêt-à-porter. Après avoir été aux commandes de Leonard et de Poiret, elle est aujourd’hui directrice artistique free-lance pour des marques chinoises. «Dans cet exercice, je me mets au service des femmes et de leur expression individuelle. Pour la haute couture, c’est une autre démarche : un travail de recherche sur les matières, les volumes, l’expression sculpturale avec des inspirations tenant plus du choc visuel et sensoriel. J’aime alterner entre ces territoires. Basculer du réel à l’imaginaire.»

Défilé Poiret Prêt-à-porter automne-hiver 2018-2019 Paris Voir le diaporama47 photos

Depuis toujours, la créatrice explore hors des cadres. Elle a collaboré avec des artistes, travaillé pour le cinéma, dessiné des costumes pour des ballets de l’Opéra… Yiqing Yin est aussi l’ambassadrice de la collection Égérie de Vacheron Constantin, qui tisse un lien entre haute horlogerie et haute couture. «Je suis admirative du travail de ces artisans qui créent des garde-temps d’exception. On partage un amour de l’authentique, du rare, de l’émotion, du fait main, une quête de la beauté, de l’excellence et de l’innovation. Les parallèles entre nos métiers sont nombreux. Le projet d’une nouvelle montre met des années à aboutir. J’aime cette idée qu’il faut du temps pour arriver à un moment de grâce. Aujourd’hui, il est urgent de perdre du temps pour gagner du sens, retravailler pour la beauté du geste. C’est particulièrement nécessaire dans mon métier.»

Redéfinir le luxe

La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accélérer sa prise de conscience sur les failles d’une industrie boulimique de nouveautés. Comme beaucoup de créateurs, Yiqing Yin rêve d’un autre futur pour la mode. «Le confinement a été un temps de repos pour me retrouver, me réinspirer. Dans une industrie comme la mode, faite de bruit, de pression, avec des cycles de création chronophages, le plus grand défi est de rester ancré dans ses croyances, fidèle à soi et de résister à l’appel du toujours plus et plus vite. Le risque sinon ? Perdre sa voie et surtout devenir répétitif ou interchangeable. Il faut arrêter de penser qu’un créatif peut concevoir des projets d’exception tous les trois mois… Cette crise nous permet de redonner du sens à notre travail, de redéfinir le luxe. On doit être au service des gens pour rendre leur vie plus belle, pas pour les pousser à consommer de façon névrotique avec l’illusion d’être plus riches alors qu’ils s’appauvrissent en consommant mal.»

La créatrice, mère d’une fille de 2 ans, veut désormais suivre son propre calendrier. «Je travaille à mon rythme sur une collection d’exception avec des artistes et artisans innovateurs. Elle verra le jour quand elle sera aboutie. J’aspire à créer moins mais mieux.»

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