• 22/08/2022
  • Par binternet
  • 467 Vues

Affaire Sophie Toscan du Plantier : les révélations du journaliste Nick Foster<

«J'ai rêvé qu'une femme était morte en un étrange endroit, loin de toute main amie.» Ainsi débute le poème Un Songe de mort, signé William B. Yeats. Sombre présage que ce texte consulté par Sophie Toscan du Plantier, la nuit même de son meurtre. Le 23 décembre 1996, le corps sans vie de cette Française de 38 ans, épouse du producteur Daniel Toscan du Plantier, est retrouvé à deux pas de sa résidence secondaire, située dans le comté de Cork. Son visage est défiguré. Son cadavre présente une quarantaine de blessures. La veille, la productrice de documentaires, isolée dans des landes battues par le vent, s'est élancée à travers son jardin pour échapper à son agresseur. Celui-ci l'a rattrapée et frappée à la nuque, avant de lui broyer le crâne avec un parpaing.

Longtemps, l'enquête piétine. L'arrivée tardive du médecin légiste empêche de déterminer l'heure du décès.Sans compter la disparition intrigante de certains objets prélevés par la police. Parmi eux, une barrière tachée du sang de la victime. Le principal suspect de l'affaire, Ian Bailey, ne fera jamais l'objet d'un procès en Irlande, le procureur arguant d'un manque de preuves. Il faudra attendre le procès français de Ian Bailey, ouvert en 2019, pour que celui-ci soit condamné à 25 ans de réclusion criminelle. Une peine que n’effectuera jamais le désormais sexagénaire, en raison du refus d’extradition de la Haute Cour d’Irlande.

Deux décennies plus tard, le suspect numéro un de l'affaire est toujours en liberté. L'espoir de voir un jour la vérité éclater semble, quant à lui, s'amenuiser. C'était sans compter sur l'intervention de Nick Foster, un journaliste déterminé à faire toute la lumière sur ce mystérieux crime. Dans Elle s'appelait Sophie (1), paru le 18 novembre aux Éditions de l'Archipel, l'auteur relate ses multiples rencontres avec Ian Bailey, dont il serait devenu «le principal adversaire».

Le reporter, qui a participé au documentaire de Sky Crime sur ce fait divers, annonçait par ailleurs des révélations décisives dans les prochaines semaines. Il a par la suite affirmé sur son compte Twitter, ce lundi 29 novembre, qu'une «personne non-autorisée se trouvait sur la scène de crime le lendemain du meurtre de Sophie». «Ce dont je parle s'est déroulé entre 11h10 et 11h55», a-t-il précisé. Avant de teaser de futures révélations : «L'horloge tourne».

Depuis, le reporter a révélé que le meurtrier aurait volé la montre en argent qui se trouvait autour du poignet de la victime, et l'aurait gardée «en guise de trophée». Il a par ailleurs affirmé dans un article de l'Irish Mirror qu'un policier a permis au meurtrier d'accéder à la scène de crime, puis a freiné l'enquête. Il espère que ces informations inédites permettront, une fois pour toutes, de boucler l'affaire Sophie Toscan du Plantier.

"Mère et fille"

Madame Figaro. - Qui était Sophie Toscan du Plantier ?Nick Foster. - Ce qui m'a le plus touché, c'est qu'elle était à la fois mère et fille. Durant le procès français de Ian Bailey, qui a eu lieu il y a plus de deux ans, j'ai vu pour la première fois les parents de Sophie Toscan du Plantier. Sa mère se déplaçait en fauteuil roulant. Son père était incroyablement triste et élégant. Son fils, Pierre-Louis Baudey-Vignaud, était présent, lui aussi. Ils portaient cette grande responsabilité de défendre la mémoire de Sophie. Cette souffrance, ils la ressentent chaque jour depuis 25 ans. C'est cela, pour moi, Sophie Toscan du Plantier : l'amour qui transparait sur les visages de ses proches.Le 23 décembre 1996, la police irlandaise découvre le corps sans vie de cette Française, épouse du producteur Daniel Toscan du Plantier, à quelques pas de sa résidence secondaire. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cette affaire ?J'ai découvert ce fait divers à la télévision, comme des millions de personnes. J'ai d'abord été intrigué par le fait que Sophie Toscan du Plantier avait laissé une anthologie de poésie ouverte sur la table de sa cuisine, la nuit du meurtre. Le poème qui figurait sur ces pages, Songe de mort, évoque une jeune femme retrouvée sans vie dans un pays lointain. Je me suis demandé comment Sophie Toscan du Plantier avait pu indiquer ce qu'il allait se produire quelques heures plus tard. Et puis, en novembre 2014, un ami m'a expliqué que Ian Bailey allait se présenter au tribunal de Dublin. Il souhaitait porter plainte contre la police irlandaise pour corruption. Je me suis dit que c'était le moment idéal pour tenter de l'aborder. Cela n'a pas été difficile - bien au contraire. Il m'a même invité chez lui.

En vidéo, "Sophie : l'affaire Toscan du Plantier", la bande-annonce

Des "marionnettes au bout d'un fil"

Au cours de votre enquête, vous avez rencontré à de multiples reprises Ian Bailey, ce journaliste anglais qui vit à quelques kilomètres de l'ancienne demeure de Sophie Toscan du Plantier. Comment décririez-vous cet homme énigmatique ?Ian Bailey parle constamment de lui-même. Il ne vous pose pratiquement jamais de questions. Pourtant, c'est une personne chaleureuse. Je me souviens de la première fois que je me suis rendu chez lui, en septembre 2015. Quand je suis arrivé, il préparait du Yorkshire pudding (un plat du nord de l'Angleterre, NDLR). Je lui ai demandé si le fait de rédiger des articles lui manquait. Cela n'a plus été possible lorsqu'il est devenu le principal suspect du meurtre. Il m'a répondu : «Je n'ai plus besoin d'écrire sur cette affaire, parce que maintenant, je peux manipuler les journalistes comme des marionnettes au bout d'un fil.» Il a dit cela de manière détachée, pendant qu'il cuisinait des pommes au four. Il indiquait clairement qu'il était en train de me manipuler.

Affaire Sophie Toscan du Plantier : les révélations du journaliste Nick Foster

Au début de l'affaire, Ian Bailey a tenté de détourner les soupçons, notamment par le biais de ses derniers articles. Il accusait Daniel Toscan du Plantier d'être à l'origine de la mort de son épouse. Comment le producteur a-t-il été disculpé ?Daniel Toscan du Plantier était à Toulouse la nuit du meurtre de son épouse. Il est impossible qu'il ait perpétré ce crime. Quant à la thèse de Ian Bailey, selon laquelle il aurait engagé un tueur à gages, elle est peu crédible. Quel genre de tueur à gages arriverait au domicile de la victime et la frapperait avec un parpaing ? C'est fantasque. Malheureusement, on a un temps laissé Ian Bailey écrire sur l'affaire. Il était devenu une sorte de célébrité, de VIP, de clown aussi. C'était problématique. Il ne faut pas oublier que la famille de Sophie souffre quotidiennement. Mon livre est un plaidoyer, un «J'accuse», et je pense que c'est la seule manière d'aborder cette affaire.

À écouter : le podcast de la rédaction

La confession en prison de Ian Bailey

Pensez-vous que Ian Bailey soit coupable ?Pour moi, il ne fait aucun doute que Ian Bailey est coupable de ce crime. Après la publication de mon livre en anglais, au mois de mai, des personnes m'ont écrit pour me faire part d'informations, parfois confidentielles et anonymes. J'ai notamment pris connaissance d'une confession essentielle de Ian Bailey. Celle-ci a eu lieu en prison, au début des années 2000, à l'époque où il purgeait une peine de trois semaines pour violences conjugales, perpétrées contre son ex-compagne, Jules Thomas. Le problème, c'est que cette confession ne figure pas dans le dossier de police irlandais. Par ailleurs, la justice française n'a jamais reçu cette information. C'est pourquoi j'ai décidé de la révéler dans une série de tweets, avec l'accord de Pierre-Louis Baudey-Vignaud.

Que relate Ian Bailey dans cette confession ?Il explique que, cette nuit-là, il a tenté d'aller rendre visite à un voisin de Sophie Toscan du Plantier, son ami Alfie Lyons. Ce dernier n'aurait pas répondu lorsqu'il a frappé à la porte. Ian Bailey, qui était alors en état d'ébriété, aurait alors aperçu de la lumière par la fenêtre de Sophie. Il aurait frappé à la porte de la productrice. Lorsqu'elle lui a ouvert, il a vu une bouteille de vin dans l'entrée, qu'il a attrapée. Sophie Toscan du Plantier lui aurait demandé de la lui rendre. Mais il aurait refusé de la lâcher, et l'aurait frappée avec. Puis, il l'a tuée, avant de jeter la bouteille dans la nature, à peu près à un kilomètre de la scène de crime.Ian Bailey a plusieurs fois confessé le meurtre de Sophie Toscan du Plantier à ses voisins de Schull. En quoi cette confession est-elle plus importante que les autres ?Ian Bailey a déclaré en prison qu'il avait trouvé une bouteille de vin, et l'avait jetée dans les environs. Or, seul le meurtrier pouvait connaître l'existence de cette bouteille. Elle a été retrouvée en 1997, par un jeune homme qui travaillait avec son père dans les alentours. Personne d'autre que cette famille ne connaissait l'existence de cet objet. Comment Ian Bailey pouvait-il la connaître, si ce n'est pas lui qui a tué Sophie Toscan du Plantier ? En 2002, juste après avoir pris connaissance de cette confession, les autorités irlandaises sont allées interroger une seconde fois le garçon qui avait trouvé la bouteille. Pourquoi aller chercher deux fois le même témoignage, si ce n'est pour vérifier une intuition ? Seul bémol, après 2002, ce témoignage n'apparaît pas dans le dossier de police, et n'a jamais été transmis aux autorités françaises.

Les failles de l'enquête

Cette enquête de police comporte bien d'autres failles. Une barrière portant les traces de sang de la victime a disparu des locaux de la police, la scène de crime n'a pas été suffisamment protégée et le médecin légiste est arrivé trop tard pour donner l'heure exacte du décès. Comment l'expliquer ?Au début, j'avais une vision manichéenne de l'affaire. Tout semblait indiquer que le procureur irlandais ne voulait pas d'un procès. Il demandait toujours plus de preuves de la culpabilité de Ian Bailey, et remettait en question celles qui lui étaient fournies. En parallèle, la police semblait faire ce qu'elle pouvait pour aboutir à un procès. Mais les informations que j'ai reçues me poussent à remettre en question cette vision du dossier. Je commence à m'interroger sérieusement sur le déroulé de l'enquête.

Pour quelles raisons ?D'abord, la police a échoué à conserver les preuves. La bouteille de vin, tout comme la barrière tâchée de sang, ont disparu de ses locaux. Les autorités irlandaises ont, de plus, dissimulé des informations à la justice française. Je m'apprête à faire, d'ici quelques semaines, des révélations décisives à ce sujet. J'expliquerai pourquoi cette affaire n'a pas abouti à un procès en Irlande, et ce qu'il s'est passé juste avant et après le crime. Ce que je peux vous dire, c'est que visiblement, M. Bailey n'a pas sa langue dans sa poche.

Un premier procès irlandais ?

Pensez-vous que ces révélations permettront d'ouvrir un premier procès en Irlande ?C'est possible. Il existe des preuves et témoignages qui n'étaient pas sur la table il y a six mois. Cette affaire sera bouclée. Mais il va falloir analyser les faits et gestes de la police irlandaise avec des yeux beaucoup plus critiques. Ian Bailey a-t-il tué Sophie Toscan du Plantier ? Oui, cela ne fait aucun doute. La police irlandaise a-t-elle toujours agi de façon honorable ? Pas du tout. Si Ian Bailey a pu profiter de sa liberté en Irlande, se moquer de la France, de la mémoire de Sophie Toscan du Plantier, et de son fils, c'est parce que la police irlandaise n'a pas fait son travail - du moins certains de ses membres.

Il y a un autre personnage important dans cette histoire, celui de Jules Thomas. Vous avez plusieurs fois rencontré l'ancienne compagne de Ian Bailey, avec qui il entretenait une relation tumultueuse à l'époque du meurtre. Comment la décririez-vous ?Lorsque je l'ai rencontrée, j'étais assez troublé. Jules Thomas a été victime d'une extrême violence de la part de Ian Bailey. Elle dû subir des opérations chirurgicales, dont elle porte encore les cicatrices. Pourtant, lorsqu'il commençait à lui réciter ses poèmes - il en écrivait souvent -, elle posait sur lui un regard d'adoration. Ian Bailey, lui, négligeait la grande violence qu'il employait contre sa compagne, et prétendait que son attitude était involontaire. Je me suis longtemps interrogé sur les raisons pour lesquelles elle était restée si longtemps sous son emprise (ils sont aujourd'hui séparés). Je lui laisse le soin de répondre à cette question. Ce que je veux savoir, c'est comment le meurtre de Sophie Toscan du Plantier s'est produit, et pourquoi le coupable flâne toujours dans les landes.

(1) Elle s'appelait Sophie, de Nick Foster, paru le 18 novembre 2021, Éd. de l'Archipel, 352 p., 22 €

*Cet article, initialement publié le 19 novembre 2021, a fait l'objet d'une mise à jour.

La rédaction vous conseille