• 21/01/2023
  • Par binternet
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Pourquoi le luxe cartonne autant en pleine pandémie ?<

Carrie Bradshaw, ses looks ultra pointus et son dressing débordant d’escarpins Manolo Blahnik reviennent bientôt sur petit écran dans « And Just Like That ». Et, il n’y a pas que la fashionista favorite de « Sex and the City » qui se porte à merveille. Les géants du luxe ont annoncé des résultats exceptionnels et tout le secteur est plus florissant que jamais.

Sur le premier semestre 2021, LVMH s’est félicité d’un record de ventes de +64% par rapport à 2019. Louis Vuitton, Christian Dior ou encore Celine, marques clés du groupe en mode et maroquinerie, confirment cette tendance. Kering, son concurrent historique, propriétaire de Gucci et Saint Laurent, a lui aussi annoncé un record de ventes depuis janvier, notamment grâce à une clientèle venue des États-Unis et d’Asie. Certaines griffes dépassent leurs niveaux d’avant-crise sanitaire. La semaine dernière, l’appel de Xi Jinping, le chef d’Etat chinois, pour une politique économique plus redistributive a d’abord inquiété les entreprises du secteur. Après un bref et relatif recul en bourse, les trois principaux groupes de marques de luxe Kering, LVMH et Hermès ont rebondi de 3%. Cette annonce ne semble donc pas enrayer la tendance. Un beau rebond après une période plutôt austère ? Pas seulement !

Le Covid, catalyseur écologique du luxe

C’est indéniable, s’offrir les slingback bicolores de Chanel ou un carré en soie signature d’Hermès, booste la dopamine et la sérotonine de certain.es. Véritable vaccin anti-déprime, shopper des pièces de luxe est la philosophie de Quang-Khiem, 25 ans. Styliste au look androgyne, il collectionne les pièces de la griffe parisienne Chloé. « J’ai deux sacs, un trench-coat en cuir, une paire de chaussures, des bagues, un bracelet… c’est un peu une obsession », s’amuse le designer fidèle de la marque. Si Gaby Aghion, la créatrice de la maison déclarait en son temps « j'ai toujours souhaité que Chloé ait un esprit positif, et rende les gens heureux », sa maxime retentit aujourd’hui avec encore plus d’acuité pour Quang-Khiem. C’est « l’esthétique colorée et solaire », remède à cette année et demie de pandémie, qu’affectionne particulièrement le designer.

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« Le Covid nous a fait prendre conscience de l’urgence à nous faire plaisir, mais surtout de l’urgence à être responsable vis-à-vis de la planète », affirme Marie-Cécile Cervellon, professeure de marketing à l’EDHEC Business School. Plus catégorique, Greta Thunberg, en une du Vogue scandinave martèle « la mode peut être importante pour exprimer sa personnalité mais si vous achetez de la fast fashion vous participez à la destruction de la planète ». « Je ne veux plus acheter de pièces bon marché du type Zara ou H&M, parce que ces marques de fast fashion alimentent un circuit que je trouve mauvais », acquiesce Quang-Khiem. Comme lui, « plus de 60 % des consommateurs du luxe indiquent préférer une marque soucieuse de son impact social et environnemental », souligne le Boston Consulting Group (BCG), cabinet de conseil en stratégie spécialisé dans le secteur du luxe.

Or, « les marques de luxe sont pionnières dans de nombreuses initiatives pour protéger la planète », indique l’enseignante-chercheuse. Une implication souvent ancienne. Si la crise sanitaire a eu un effet catalyseur pour certaines, « Stella McCartney par exemple est engagée depuis une quinzaine d’années dans une démarche éthique, éco-friendly et éco-responsable », détaille Marie-Cécile Cervellon.

Pourquoi le luxe cartonne autant en pleine pandémie ?

Si on se souvient des promesses de respect de la biodiversité inscrites dans le Fashion Pact, signées notamment par Kering, Ferragamo et Moncler, et des dons de gel hydroalcoolique de LVMH lors de la pandémie, les initiatives dépassent de longue date les questions green ou sanitaires. La maison italienne Gucci par exemple, œuvre avec l’Unicef depuis 2013 en faveur de l’éducation des jeunes filles, avec la campagne mondiale « Chime for change ». « Les consommateurs, la jeunesse surtout, ont pris conscience que les marques de luxe s'engagent pour le bien de la planète, explique Marie-Cécile Cervellon. C’est cette authenticité, en plus des valeurs et de l’histoire de la marque, qu’ils recherchent en achetant des pièces de luxe. »

Une clientèle plus jeune

La jeunesse, justement ! Acheteurs réguliers de produits de luxe, les Milléniaux (nés entre 1978 et 1992) ou Génération Y, représenteront près de la moitié des consommateurs du marché du luxe en 2025, annonce Bain & Company, cabinet international de conseil en stratégie. Les nombreuses collaborations entre artistes de la pop culture et maisons de luxe sont témoins de cette avancée vers une nouvelle clientèle. La capsule LOEWE X « Mon Voisin Totoro », personnage éponyme du film d'animation japonais, et « les collections “gamifées” chez Louis Vuitton et Balenciaga qui reprennent les codes du streetwear, font partie des stratégies marketing des maisons de luxe pour attirer des jeunes consommateurs », détaille Tessa Masliah, historienne de l’art et du luxe.

Les confinements successifs ont par ailleurs forcé l’industrie du luxe à s’adapter, pour garder le lien avec sa clientèle historique comme avec les« digital native ». « Les marques ont paradoxalement beaucoup innové grâce à la pandémie, indique l’historienne des stratégies de branding dans les arts et le luxe. Pour reprendre contact avec leurs clients, elles ont créé des nouveaux liens qui n'existaient pas avant, comme les Fashion Weeks digitalisées, les Zoom ou les sessions de shopping virtuelles », liste Tessa Masliah. Ce virage du luxe vers les réseaux sociaux est particulièrement flagrant sur Instagram, où les marques ont beaucoup développé les Reels et les IGTV pour s’adresser à leurs followers et les aider à passer à l’achat avec la fonctionnalité « shopping ». Avec Possible conversations, la griffe italienne Prada invitait durant tout l’été 2020 des personnalités comme la poétesse Amanda Gorman pour échanger sur la place de la fashion dans le monde d’après.

« Les marques ont diversifié leur portefeuille de produits, et donc les profils de leurs clients, atteste Delphine Dion, professeure de marketing à l'ESSEC Business School. Et avec la pandémie, on voit une extrême démocratisation du luxe pour des achats neufs ou d’occasion. » Les Milléniaux et la Génération Z (nés entre 1993 et 2001) sont de grands fans de la seconde-main écolo et du vintage estampillés luxe. Ce marché connaît d’ailleurs une croissance de +12% par an d’après les experts du BCG. Acquérir un trench Burberry d’occasion sur l’application Vinted ou des baskets Balenciaga sur le site de revente Vestiaire Collective, est un tremplin vers l’univers du luxe pour ces jeunes consommateurs. « Avec la pandémie, ma clientèle s’est extrêmement agrandie et rajeunie, j’ai beaucoup plus de clientes de 25 et 30 ans », se réjouit Karen, propriétaire de HK Vintage, une boutique de dépôt-vente d’articles de luxe dans le 17e. Pour cette passionnée de haute couture, « s'acheter du vintage et du second hand, c’est devenu hype avec le Covid ».

Pour l’influenceuse et blogueuse Léa-Marie Grotzinger, a.k.a. @mysweetcactus sur Instagram, dénicher des sacs de créateurs plus abordables est une vraie chasse aux trésors, qu’elle partage avec ses 84 000 abonnés. Sa dernière trouvaille : « le Loulou de Yves Saint Laurent », un mini sac au cuir noir matelassé, clin d’oeil à l'une des muses du styliste, Loulou de la Falaise. « Je l’ai acheté avec une remise de 500€ sur Farfetch, mais c’est grâce à mon acharnement, j’ai actualisé le site tous les matins », s’amuse la fashionista. « Très raisonnée », elle ne jure plus que par cette plateforme de vente de grandes marques, « qui rend le luxe beaucoup plus accessible », et le site Codressing, proposant la location de vêtements et accessoires griffés à tout petit prix. Elle y a d’ailleurs trouvé une robe Magali Pascal bleue à froufrous, louée 45€ à la journée, alors qu’elle vaut 525€ neuve. De quoi découvrir sans regret les maisons de luxe et s’imaginer dans les escarpins de Cendrillon le temps d’une soirée.

La désirabilité du savoir-faire et des valeurs

Si certains clients vont s’offrir un cabas Saint Laurent sur Vestiaire Collective, d’autres vont s'acheter en boutique la dernière ceinture Gucci avec l’emblématique boucle GG, ou d'autres encore vont investir dans plusieurs Kelly, le célèbre sac trapézoïdal du sellier Hermès. Car les jeunes générations ne perçoivent pas le luxe uniquement comme un bien de consommation mais comme un placement ou un bien de transmission. « J'ai beaucoup d’amies qui ont hérité des sacs de luxe de leur grand-mère ou de leur mère, se souvient Théa*, influenceuse sur Instagram qui compte un peu plus de 52 000 abonnés. C'est un héritage vraiment précieux parce que ces pièces ont une histoire familiale. » Ses derniers achats coups de coeur, pour fêter sa première année sur le réseau social, « le Timeless de Chanel en cuir grainé bleu marine » et « le Saddle de Dior en cuir noir ». Elle en prendra soin « pour les donner plus tard à [ses] enfants car elles sont intemporelles et indémodables ». « Les maisons de luxe fondées par nature sur la durabilité proposent des pièces qu'on peut transmettre de génération en génération ou qu’on peut revendre car elles auront pris de la valeur, précise la professeure de marketing Marie-Cécile Cervellon. Compte tenu du contexte incertain à cause du Covid, acheter du luxe est un gage certain de savoir-faire et de qualité », rappelle l’experte en stratégie marketing du luxe.

Maryline*, juriste de 28 ans, ne se sépare jamais de son « Phantom gris perle, époque Phoebe Philo bien sûr ». Ce qui la fascine dans les pièces éditées par les grandes maisons ? « Leur histoire, leur patrimoine et leur héritage », avant même le style, influencé par la vision des directeurs artistiques. Son prochain achat ? « Des bijoux fantaisie de Chanel ». Ces bijoux précieux créés dans les années 1920, aux C entrelacés et souvent parés de camélias, « étaient à la base réservés aux “femmes de petite vertu”, Gabrielle Chanel a radicalement transformé et libéré leur usage ». Grande admiratrice du styliste Yves Saint -Laurent, elle prévoit d’acheter un de ses célèbres smokings parce qu’en 1966 « c’est lui qui a démocratisé le tailleur-pantalon et il a permis une émancipation de la femme version haute couture », affirme la fashionista.

Au XIXe siècle, dans sa « Théorie des sentiments moraux », Adam Smith dénonçait la nature superficielle des consommateurs du luxe, les aristocrates et les riches bourgeois. Une analyse un brin manichéenne bien loin de la diversité des motivations des acheteurs du XXIe siècle. Bonne nouvelle, plus besoin de culpabiliser lorsque l’on craquera sur la dernière it-pièce de Carrie Bradshaw dans le reboot de la série culte « Sex and the City ».

*les prénoms ont été modifiés