• 06/01/2023
  • Par binternet
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CinéMode par Jean Paul Gaultier à la Cinémathèque française de Paris du 6 octobre 2021 au 16 janvier 2022<

Un voyage à travers les genres et les styles, une histoire croisée du cinéma et de la mode, où grands couturiers et stars de cinéma se côtoient le temps d’un somptueux défilé.

Les costumes du film ont été réalisés par Marcel Rochas, l’un des premiers couturiers à avoir compris que le cinéma pouvait servir de vitrine à ses créations. Allant jusqu’à guider dans sa gestuelle l’acteur principal, il s’investit tout particulièrement sur Falbalas, dont le défilé final est une compilation de ses grands succès. Rochas est aussi souvent crédité comme l’inventeur de la guêpière en 1945 que Jean Paul Gaultier revisite dès ses premières collections prêt-à-porter au début des années 1980. Marqué par les corsets de sa grand-mère, le couturier transforme ce dessous en vêtement de dessus et en fait l’une des pièces maîtresses de sa griffe.

De la courtisane à la Superwoman, du macho au dandy, les archétypes féminins et masculins du grand écran évoluent sans cesse, reflétant et devançant même parfois les rôles des femmes et des hommes au sein de la société.

Les studios hollywoodiens ont inventé des personnages à la féminité particulièrement explosive que Marilyn Monroe magnifie dans Les hommes préfèrent les blondes (1953). Face à cette star hyper-sexualisée aux costumes sophistiqués, l’icône française Brigitte Bardot (Et Dieu… créa la femme, 1956) apparaît comme une héroïne rebelle débordant de sensualité sauvage, à l’avant-garde d’une mode prêt-à-porter, plus jeune et simple. Ses contemporaines Delphine Seyrig habillée en Coco Chanel, Jeanne Moreau en Pierre Cardin et Catherine Deneuve en Yves Saint Laurent, symbolisent la fidélité à la haute couture française.

Face à elles, dans la lignée des héros à la virilité conquérante (tel le cow-boy John Wayne), Marlon Brando, vêtu d’un débardeur dans Un tramway nommé Désir (Elia Kazan, 1951), fait figure de véritable rupture érotique. Il est l’incarnation de l’homme-objet pour Jean Paul Gaultier, qui fut l’un des premiers couturiers à injecter des éléments du vestiaire féminin dans la silhouette masculine. Dans sa collection James Blondes (2011), il revisite ainsi l’élégance british du personnage de James Bond, saga culte où s’invite, le temps d’un film, la puissante Grace Jones habillée par Azzedine Alaïa.

Dès les années 1930, des stars hollywoodiennes comme Marlene Dietrich ou Katharine Hepburn affirment leur androgynie par le port de vêtements – pantalon, smoking – d’ordinaire réservés au vestiaire masculin. Aussi bien dans la vie que dans les rôles qu’elles choisissent, ces pionnières bousculent les codes pour faire valoir la liberté de s’habiller comme elles le veulent. Minoritaires dans la société de l’époque qui réfute l’ambiguïté, elles ouvrent une nouvelle voie esthétique et morale, prônant déjà l’égalité des sexes.

CinéMode par Jean Paul Gaultier à la Cinémathèque française de Paris du 6 octobre 2021 au 16 janvier 2022

Il faudra attendre plusieurs décennies pour que ces transgressions deviennent moins confidentielles. Les années 1970 popularisent le scandale, avec des héros de cinéma travestis à la sexualité outrancière (The Rocky Horror Picture Show, 1975). L’underground devient plus visible, mettant au placard la bienséance, comme l’affichera Querelle de Rainer W. Fassbinder (1982), et ses marins à la beauté phallique. Marqué par cet homo-érotisme subversif, Jean Paul Gaultier fera de la marinière l’emblème de L’Homme-Objet, son premier défilé prêt-à-porter masculin, en 1983. Revisitée et dénudée dans le dos (caractéristique habituellement associée à la féminité), la marinière deviendra le symbole de sa marque.

Cette inversion des genres, Gaultier l’exprime dans ses défilés, mais aussi dans les films dont il est le costumier, en particulier ceux de Pedro Almodóvar. Les deux « enfants terribles » partagent une vision du monde colorée, impertinente et sans préjugés. Avec une prédilection pour des corps différents et queer.

Récurrent dans les films historiques, le métal est l’apanage des guerriers et des guerrières, dont la plus célèbre icône, Jeanne d’Arc, a été tour à tour interprétée par Jean Seberg, Sandrine Bonnaire ou Milla Jovovich.

En 1968, c’est Jane Fonda qui, sous les traits de l’aventurière Barbarella, revêt une tunique psychédélique en métal, spécialement créée par Paco Rabanne. Deux ans auparavant, le styliste a fait sensation en présentant sur les podiums parisiens « 12 robes importables » en rhodoïd et acier fabriquées au chalumeau.

La mode des années 1960 est révolutionnaire. C’est l’époque du Space Age, que représentent des couturiers visionnaires comme Pierre Cardin et André Courrèges. Acclamés pour leurs collections de prêt-à-porter futuristes, ils expérimentent de nouvelles formes ou matières tout en dialoguant avec la science, le design et le cinéma : Blow-Up (Michelangelo Antonioni, 1966) ou Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971) accompagnent ce mouvement utopique. Agitateur d’images exubérantes dans ce monde sixties en mutation, le photographe William Klein réalise en 1966 son premier long métrage, Qui êtes-vous Polly Maggoo ?. Satire poétique du monde des médias et de la couture, le film s’ouvre sur une scène de défilé de robes métal, hurlant, grinçant, délirant.

Vingt ans plus tard, William Klein filmera Jean Paul Gaultier backstage dans son documentaire Mode in France. L’occasion d’un hommage aux couturiers des années 1980 qui, émancipés de leurs aînés, ont réussi à faire de la mode un spectacle ludique et contestataire.

Célébration ultime de la mode, le moment du défilé est un incontournable de la plupart des films dont l’intrigue se déroule au sein de la haute couture. Il n’est pas inhabituel que la narration du film soit momentanément suspendue pour montrer un défilé dans toute sa splendeur. L’un des plus mémorables apparaît en CinemaScope dans The Women (George Cukor, 1940), pause émerveillée en couleurs dans un film encore en noir et blanc.

D’abord exclusivement sur rendez-vous, le défilé de mode se met en scène dans des salons à l’ambiance luxueuse. Les mannequins y prennent la pose, décrivant parfois elles-mêmes leurs tenues, avant de déambuler sur des podiums, le plus souvent rectilignes. Les fictions se sont très vite emparées de tous ses à-côtés : les essayages en backstage, la presse, le public, notamment celui placé aux premiers rangs, composés de clients, journalistes, photographes et célébrités. De Funny Face (Stanley Donen, 1957) au Diable s’habille en Prada (David Frankel, 2006) en passant par Absolument Fabuleux (Gabriel Aghion, 2001), les rédactrices en chef et les riches clientes incarnent avec humour les rapports de pouvoir du fashion world.

Dans les années 1980, Jean Paul Gaultier, mais aussi Thierry Mugler ou Vivienne Westwood font du défilé de mode un spectacle à part entière. La scénographie, l’orchestration sonore et l’attitude des mannequins – qui semblent interpréter un scénario en une seule prise – font alors du défilé l’aboutissement d’une création collective similaire à celle du cinéma.

Sources Cinémathèque française