• 22/12/2022
  • Par binternet
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SAGA - Comment Hendrix hypnotisa le Swinging London - Rolling Stone<

Le 25 septembre 1966, un jeune guitariste noir américain totalement inconnu débarque à Londres, alors en pleine effervescence psychédélique. Et provoque un véritable séisme musical. Par Sophie Rosemont

Dans le dernier épisode –

Jimi Hendrix fait la connaissance d’Eric Clapton et lui propose ses services. Le guitariste, installé à Londres avec son groupe Cream très en vogue à l’époque, découvre alors un musicien de génie, véritable électron libre de la guitare.

« Sur la recommandation de Linda Keith, petite amie de Keith Richards, [Chas] Chandler est allé le voir jouer au Café Wha. Dès les premières notes, il sait qu’il tient un phénomène. D’autant que Jimi Hendrix est en pleine ébullition intérieure. Cela fait des années qu’il tourne dans le chitlin’ circuit, ces concerts exclusivement destinés au public afro-américain, comme ceux de Little Richard et des Isley Brothers, où il ne peut pas trop en faire avec sa guitare, et encore moins chanter. “Si je ne deviens pas riche et célèbre d’ici un an, je vais devenir fou”, confie-t-il à sa petite amie Diana, au début de l’année 1966.«

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Hendrix se sent bridé, sous-estimé. Chandler le comprend vite. Il réussit à convaincre Jimi de le suivre à Londres… à la condition qu’il lui présente Eric Clapton. Chandler le lui promet, et décide de faire de lui une star : “Chandler connaît tout le monde à Londres, et il emmène Jimi partout. Il le fait jouer dans chaque club dont ils passent la porte, raconte Yazid Manou, le spécialiste français de Jimi Hendrix. Paul McCartney, Mick Jagger, Peter Green, Jeff Beck, Keith Richards… tous assistent à l’une de ces représentations improvisées sous la houlette de Chandler. Le buzz se fait très vite. Sa couleur de peau, sa coupe de cheveux afro, son jeu de gaucher impressionnent énormément.”

SAGA - Comment Hendrix hypnotisa le Swinging London - Rolling Stone

Loin de faire fuir la foule, son physique exotique l’aimante. La même semaine, Hendrix devient l’amant de Kathy Etchingham, une Anglaise de 19 ans qui a déjà entretenu des liaisons avec Keith Moon et Brian Jones. Elle deviendra son point d’ancrage londonien, comme l’explique Olivier Nuc, chef de la rubrique musique au Figaro et auteur de Jimi Hendrix (Librio) : “Ce n’est pas une groupie, ni une femme effacée. Elle est DJ, indépendante, cultivée… Bref, moderne. À l’opposé des Américaines qu’il avait connues jusque-là.” Kathy lui tombe dans les bras après l’avoir vu jouer dans un des ces clubs, le Scotch of St James, où Hendrix s’illustre vite comme the new guy in town.

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C’est le début d’une nouvelle liberté. D’abord du point de vue musical : avec Chandler et Mike Jeffery, le manager des Animals, Hendrix recrute Noel Redding et découvre le pouvoir des amplis Marshall grâce au guitariste Vic Briggs. Quelques jours plus tard, il fait passer une audition au batteur Mitch Mitchell, et, du 13 au 18 octobre, Hendrix assure les premières parties des concerts de Johnny Hallyday, d’Évreux à l’Olympia de Paris. Quelques jours plus tard, il enregistre “Hey Joe”, une chanson attribuée à un certain Billy Roberts et que les Byrds, entre autres, reprendront également lors de cette même année 1966.

Le 16 décembre 1966, la sortie du 45-tours, couplée à sa première apparition télévisée, braque les projecteurs sur Hendrix. En janvier 1967, “Hey Joe” entre dans les classements britanniques. Jimi tient enfin son premier tube, celui auquel il rêve depuis l’adolescence. Et en a déjà un autre sous le coude, que Chandler a découvert, époustouflé, quelques jours avant Noël : “Purple Haze”, qui fera une entrée fracassante dans les charts en mars 1967.

D’après Yazid Manou, l’autorévélation du guitariste américain ne s’arrête pas là, car Hendrix devient une figure majeure du Swinging London. “Il glisse des attributs féminins dans son look folk : bagues, foulards, chemises bariolées. Il va aux puces, sur Carnaby Street… Il devient une fashion victim. Alors qu’aux États-Unis, lorsqu’il portait les mêmes chemises que Little Richard, celui-ci lui tombait dessus parce qu’il ne supportait pas cette concurrence, en Angleterre, c’est désormais lui le maître. Lorsqu’il se met à genoux, qu’il tire la langue, qu’il joue avec les dents, les filles sont folles. Cela, il n’aurait jamais pu le faire aux États-Unis. S’il se fait arrêter par les flics, c’est parce qu’il porte une veste de hussard, pas parce qu’il est noir.”

Bien que les tabloïds britanniques parlent de lui comme de “l’homme sauvage de Bornéo”, l’Angleterre n’est pas embourbée dans une longue tradition ségrégationniste comme les États-Unis. La couleur de sa peau est rare, certes, mais pas indésirable, et encore moins susceptible de répression. Et ses origines Cherokee font de lui un personnage fascinant pour des Européens. Ce que confirme Olivier Nuc : “Pourquoi il n’a pas correspondu aux attentes des Américains ? Parce que sa musique est trop noire pour les Blancs et trop blanche pour les Noirs, et qu’il est considéré comme un session man. Les Anglais, eux, viennent de découvrir le blues prêché par Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page, Townshend… Il y a un ordre établi de toutes ces stars, un ordre bousculé par Jimi Hendrix qui, bluesman de leur âge, leur montre que lui, contrairement à eux, a été bercé par cette musique depuis la naissance. Il est complètement authentique. D’une certaine manière, il est celui qu’on attend, en 1966.”