• 25/03/2022
  • Par binternet
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Retour sur le destin d'Alexandra David-Néel, l'aventurière qui brava la cité interdite du Tibet<

Cantatrice, écrivaine, orientaliste, féministe... Au cours de sa vie, Alexandra David-Néel a endossé bien des costumes mais c'est celui de l'exploratrice qui l'a rendue célèbre. Il y a 110 ans, en 1911, cette Française entamait le voyage qui allait changer sa vie. Un périple de quatorze ans à travers le continent qui l'a fascine tant depuis ses jeunes années, l'Asie.

Alors âgée de 43 ans, Alexandra est mariée avec Philippe Néel depuis sept ans mais ses envies d'études, d'indépendance et de voyage la poussent à mettre fin à sa vie maritale et prendre le départ seule. Elle se rend au Sri Lanka, en Inde, au Tibet, au Népal où elle fréquente de nombreux monastères pour parfaire ses connaissances en bouddhisme.

Les péripéties et rencontres de la Française ont déjà tout pour faire d'elle une aventurière hors normes. Mais ce n'est qu'en 1925, à l'issue de son expédition indo-tibétaine, que la presse d'antan ne commence à s'intéresser à la "femme aux semelles de vent" comme on la surnommera plus tard.

Première femme occidentale à atteindre Lhassa

L'année précédente, Alexandra est en effet devenue la première femme occidentale à atteindre Lhassa au Tibet, une cité monastique dont l'entrée est normalement interdite aux étrangers. Elle y parvient déguisée en mendiante après un périple de 2.000 kilomètres avec le jeune Aphur Yongden, son fils adoptif.

Le 25 janvier 1925, le journal La Croix relate ainsi la nouvelle dans une brève intitulée "Une exploratrice française" : "On annonce de Tokio qu’une Française, Mme Alexandra David Neel, qui quitta la France en 1911 pour l’Inde, est arrivée à Lhassa". Avant de retracer le reste de son parcours jusqu'à son entrée dans la cité interdite en février 1924.

Quelques mois plus tard, le 20 avril 1925, c'est le romancier Charles Géniaux qui se penche sur cette prouesse dans le journal Le Petit Marseillais : "Les journaux nous ont appris que cette Française vient de rentrer aux Indes après treize passés au coeur de l'Asie, dans le Thibet inaccessible aux étrangers [...] Comme il ne s'agit pas d'un raid sportif, mais de la recherche désintéressée de la vérité c'est à peine si cet exploit magnifique a retenu l'attention publique".

Charles Géniaux qui a eu l'occasion de rencontrer l'aventurière passionnée avant son départ ne tarit pas d'éloges à son égard : "Nous étions loin de nous douter que cette femme musicienne, philosophe et lettrée et dont la complexion physique, sans être délicate, ne faisait pas soupçonner l'exploratrice, accomplirait le plus extraordinaire voyage d'études dans les conditions effroyables et que bien peu d'hommes pourraient supporter".

Retour sur le destin d'Alexandra David-Néel, l'aventurière qui brava la cité interdite du Tibet

Une fois rentrée en France, c'est au journal Le Matin qu'Alexandra David-Néel accorde l'exclusivité de ses récits de voyage. Le 21 juin 1925, elle relate dans ses colonnes son stratagème pour parvenir à pénétrer dans la cité interdite, "la difficile traversée du col de Rakchi et l'accueil hostile des pasteurs nomades et de leurs chiens féroces".

"Quelques expériences précédentes m'avaient convaincue que la ruse et un incognito absolu pouvaient, seuls, permettre de franchir la frontière étroitement surveillée du territoire interdit et d'y poursuivre un voyage jusqu'à Lhassa. Je m'étais donc déguisée en femme du peuple", explique-t-elle.

Mais le stratagème n'a semble-t-il pas fonctionné sur les pasteurs nomades rencontrés en route. "Nous inclinions donc à nous diriger du côté des tentes lorsque l'un de ces énormes et féroces chiens qui sont toujours de garde autour d'un camp de Thibétains nous flaira et se mit à aboyer", témoigne-t-elle.

"Aussitôt, d'autres chiens lui répondirent et toute une bande accourut vers nous. Nous nous défendîmes avec nos bâtons, appelant en même temps les gens des tentes à notre secours", poursuit-elle. Lorsque les fameux maîtres arriveront, ce ne sera pas pour les sauver des bêtes mais pour leur tirer dessus.

Quelques jours plus tard, le 29 juin 1925, l'exploratrice fait le récit de nouvelles rencontres "bonnes et mauvaises" dans le même journal. "Je devins froide ; c'était avec des mots identiques que l'on m'avait barré la route dix-huit mois auparavant [...] "Que ferai-je, pensai-je, si ma tentative avorte encore ? - Je recommencerai un nouveau voyage". Par quelle direction ? Je n'en savais rien pour l'instant mais je recommencerais", se souvient-elle, témoignant de sa détermination.

Récompensée et invitée à travers toute l'Europe

Outre les journaux, Alexandra David-Néel relate ses voyages à travers des livres notamment Voyage d’une Parisienne à Lhassa publié en 1927 qui font rapidement grandir sa renommée. Elle est invitée à de multiples conférences en France et en Europe et reçoit plusieurs récompenses et médailles.

Le 2 juillet 1926, le journal La Patrie documente l'une d'entre elles : "L’Académie des Sports vient d'attribuer le Grand Prix d'Athlétisme féminin à Mme Alexandra David-Neel, qui a réussi cet exploit non seulement de traverser seule, le Thibet, mais même de pénétrer à Lhassa, la Rome Thibétaine".

Six ans plus tard, en 1932, ses conférences attirent encore les curieux comme en témoigne la journaliste Marie Lera, sous le pseudonyme Marc Hélys, dans les colonnes du Figaro. Le 12 janvier, elle écrit : "Mme Alexandra David Néel "révérende dame lama" au Thibet, a et savante orientaliste de grande réputation en Europe, a passé ces temps derniers quelques jours à Paris. Elle a donné des conférences à la Sorbonne, au musée Guimet, aux "Amis du bouddhisme", à la salle Adyar : partout où l'on s'intéresse à l'Orient et ses mystères".

Ces interventions étaient centrées autour d'un poème et mythe célèbre, celui de Gesar de Ling, précise la journaliste visiblement inspirée par l'aventurière. "[...] j'eus l'impression qu'elle ne voulait pas nous humilier, nous, pauvres Occidentaux aisément émerveillés — et qui aimons à l'être — et que pour la "révérende dame lama", instruite en tant de secrets, ces phénomènes n'échappaient pas aux lois profondes et cachées de la nature".

Lassée des conférences et mondanités, l'orientaliste reprend la route en 1937 pour rejoindre l'Inde puis le Tibet. Elle ne rentre en France qu'en 1946 à l'âge de 78 ans et poursuit la publication de ses ouvrages. Le dernier paraitra en 1964. L'exploratrice décède à Digne cinq ans plus tard à près de 101 ans.

Depuis, de nombreux hommages lui ont été rendus et de multiples oeuvres - documentaires, films, essais, romans et même bandes dessinées, se sont inspirées de ses voyages et de sa vie.

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